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La catastrophe du Bazar de la CharitéMusée des arts et métiers, La revue N°18, mars 1997, pp. 53 - 55
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Marie-Sophie Corcy |
Cent vingt morts et plus de deux cents blessés... Le bilan de l'incendie qui ravagea le Bazar de la Charité, à Paris, le 4 mai 1897, faillit être fatal au cinématographe naissant... Le Bazar de la Charité, fondé en 1885, et qui regroupait nombre de notabilités, devait organiser des ventes au profit d'[oe]uvres de bienfaisance. Le local déménagea à plusieurs reprises. Depuis 1896, il se trouvait sommairement édifié sur un terrain vague. Il s'agissait d'une sorte de hangar rectangulaire, fait de planches et de poutrelles, d'une vingtaine de mètres de largeur. Deux portes donnaient accès à l'établissement qui présentait en outre trois ouvertures aux extrémités du bâtiment. Pour la décoration intérieure, on avait acquis la «rue du Vieux-Paris», [oe]uvre du peintre Chaperon, l'une des principales attractions de l'Exposition du Théâtre et de la Musique qui avait eu lieu au Palais de l'Industrie. Vingt deux boutiques, auberges, échoppes, hôtels et même une église gothique se succédaient dans un style moyenâgeux. Les dames patronnesses proposaient, derrière des comptoirs somptueusement aménagés, des objets d'art, bibelots, tableaux, bijoux ou ouvrages divers provenant de dons. Le «Tout Paris de la bienfaisance» était présent en ce jour de mai 1897. Un cinématographe avait été installé pour l'occasion, le matin, au fond de l'établissement, légèrement à droite de la travée centrale. Moyennant la somme de cinquante centimes, le public allait pouvoir visionner sept films de 20 mètres chacun. Vers 16 h 20, alors qu'environ mille deux cents personnes se trouvaient dans les lieux, des flammes jaillirent de la cabane où était installé le cinématographe. Ce fut aussitôt la panique. «En moins de cinq minutes, il ne restait plus rien du Bazar de la Charité.» Le bilan fut extrêmement lourd. Le nombre et la notoriété des victimes frappèrent les esprits. On pensa même que des prédictions avaient annoncé cette catastrophe. Que s'était-il passé? Selon plusieurs témoins, était en cause la lanterne de projection du cinématographe qui fonctionnait à la lumière oxyéthérique, à l'aide d'un chalumeau. Un bâton de chaux était porté par une tige à l'avant de la lampe. On dirigeait la flamme donnée par l'éther vers le bâton de chaux, en insufflant à la flamme de l'oxygène. Chauffé à blanc (plusieurs centaines de degrés), le bâton de chaux produisait une lumière blanche d'une forte intensité, propice aux projections sur grand écran. Compte tenu de la taille de l'image filmique, la source lumineuse devait être le plus près possible du film, ce qui faisait courir un risque important, le support des bandes cinématographiques étant en nitrate de cellulose, matériau hautement inflammable. La lampe avait une autonomie d'environ une heure et demie. Selon les «employés du cinématographe», c'est une erreur de l'un d'eux qui enflamma les vapeurs d'éther de la lampe mettant le feu aux bandes de celluloïd qui propagèrent le sinistre. Deux hypothèses furent retenues par le préfet de police, Lépine : «l'imprudence de la part de la personne qui manipulait le cinématographe» ou «la faute du manipulateur du cinématographe, qui s'est trompé de robinet lorsqu'il a vu baisser la lampe et a ouvert le robinet d'oxygène au lieu d'ouvrir celui de l'éther». Pourtant, le Congrès international de Photographie de 1889 avait décidé, pour permettre de distinguer facilement les réservoirs de gaz employés pour les projections à la lumière oxhydrique, de peindre en blanc les réservoirs renfermant le gaz oxygène, et en noir ceux renfermant le gaz hydrogène ; en plaçant, en outre, sur ces récipients les lettres initiales O et H noires et blanches. La réputation des cinématographes resta longtemps entachée. La réaction des constructeurs fut pourtant immédiate. Il fallait déterminer les responsabilités, déresponsabiliser le cinématographe, afficher l'erreur humaine. Dès le début du mois de juin suivant la catastrophe, Auguste et Louis Lumière publiaient une note mettant hors de cause leur appareil cinématographique. L'incendie du Bazar de la Charité avait attiré l'attention des pouvoirs publics, et de la population, sur les dangers potentiels suscités par les manipulations des divers systèmes de cinématographes. La concentration des rayons lumineux sur le film celluloïd provoquait son échauffement progressif, et constituait inéluctablement un risque. Ce risque était écarté sur le Cinématographe Lumière, qui utilisait pour la projection une lampe à arc électrique. Auguste Lumière ajoutait que les huit cents mille séances déjà données s'étaient déroulées sans aucun accident... Afin de renforcer cette sécurité inhérente à leur appareil, Auguste et Louis Lumière conseillaient de substituer au condensateur optique de la lanterne un ballon de verre rempli d'eau, afin de réduire les risques d'échauffement, et d'y introduire «un petit morceau de coke suspendu au bout d'un fil», afin d'éviter l'ébullition de l'eau. |