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[...] 19 juillet. - Le lendemain, 19 juillet, nous allons à terre. Akreyri est une petite ville, allongée vers le fond du fjord sur deux kilomètres environ. Il n’y a guère qu’une seule rue, d’ailleurs assez animée, avec quelques magasins bien fournis, où l’on découvre également les derniers chapeaux de Paris. En dehors de cette rue, une place avec cinéma, les quais et le terre-plein du port, avec l’animation des bateaux. Après l’achat obligatoire de cartes postales, nous allons au « frisor salon » dont le besoin se fait sentir. Nous entrons courageusement, M. Maurain et moi, décidés à subir passivement le traitement qu’on jugera bon de nous infliger. Ô surprise ! l’artiste qui opère en ce lieu nous installe dans de bons fauteuils et promène sur notre tête une tondeuse électrique du plus récent modèle, qui nous rajeunit de dix ans. Le tout dure quelques minutes à peine. Je me crois transporté dans un de ces magnifiques salons de coiffure, comme je n’en ai vus qu’en Amérique, avec 25 fauteuils mécaniques, autant de garçons coiffeurs et un outillage perfectionné. Bien des villes en France, pour ne pas dire toutes les villes de France, à commencer par Paris, feraient bien de prendre modèle sur ce hameau d’Akreyri, perdu au fond d’un fjord d’Islande. Ah ! c’est que la France, la douce France, la France bénie du ciel, la France aimée des dieux, endormie depuis des siècles dans sa béatitude et la conviction de sa supériorité, a fini par se laisser dépasser en toutes choses par presque tous les pays du monde, sauf, sans aucun doute, pour la cuisine, où elle conserve sa royauté. Elle est devenue la citadelle inviolable de la routine invétérée, de la servitude bureaucratique, de la contemplation perpétuelle d’un nombril qui n’est plus le centre du monde. Et ce qui est vrai pour les petites choses, comme l’exemple que je donne ici, l’est également pour les grandes. Les institutions scientifiques, les laboratoires, avec les savants qui y travaillent, vivent, et vivent mal de crédits misérables, que leur abandonne un État qui jette des millards au gouffre des dépenses électorales. L’architecture paysanne n’a pas changé depuis le moyen âge et la maison de Jeanne d’Arc, à Domrémy, est un palais à côté des taudis dont se contentent aujourd’hui un grand nombre de nos paysans. Il y a quelque vingt-cinq ans, je me trouvais à Williams, d’où se dirige vers le Nord l’embranchement qui conduit au grand Canyon de l’Arizona. C’était à cette époque un village du Nouveau-Mexique, avec quelques maisons en planches, comme sont les villes naissantes dans ces territoires immenses. La maison du coiffeur n’était qu’une baraque, mais il y avait à l’intérieur deux de ces fauteuils magnifiques comme il est rare encore, après un quart de siècle, d’en trouver à Paris. Et cette histoire de coiffeur, quelque banale qu’elle soit, marque la différence entre ces populations jeunes, que n’embarrassent ni une hérédité séculaire, ni des traditions très anciennes, et les Français de la vieille France, asservis à des habitudes qui datent souvent du moyen âge - et dont certaines remontent à l’Empire romain ! Ô France, endormie de nouveau après le terrible réveil de la Grande Guerre, - quand sortiras-tu de ta léthargie ?
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