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"Le Gymnote"
Torpilleur électrique
sous-marin
L'illustration 1888
Gustave ZÉDÉ conseille Jules VERNE pour son NAUTILUS
en 1869
"Le Gymnote", le premier torpilleur sous-marin de notre flotte, vient de
faire, avec le succès le plus complet, ses derniers essais en rade
de Toulon.
Chose rare, dans une première expérience, on n'a pas eu à
constater le moindre achoppement, et toutes les prévisions de nos
habiles et hardis ingénieurs, tous français, ont été
merveilleusement réalisées, jusque dans les plus infimes
détails.
Les premiers plans sont de l'illustre Dupuy
de Lôme qui continuait ainsi les travaux de l'amiral Bourgeois.
On ne put les mettre à exécution faute d'une force motrice
pratique. C'est à M.
Zédé, son ami et successeur aux constructions navales
qu'il légua le soin de compléter son oeuvre.
Il y a deux ans celui-ci cherchait encore une introuvable force motrice,
quand le capitaine Krebs, qui venait d'inventer le moteur électrique
léger et puissant du ballon de Meudon, vint lui offrir le concours
de l'électricité. Les deux savants se mirent au travail et
bientôt toute la partie mécanique si minutieuse du bateau
était établie. Le Gymnote était construit sur plans,
tel qu'il s'est montré aux essais d'hier. Restait, avant de les
exécuter, à procéder à des expériences
préliminaires. Un premier essai en novembre 1886 avec des accumulateurs
de M. Reynier,
installés sur un canot porte-torpilles, échoua complètement.
Sans perdre courage, MM. Zédé et Krebs s'adressèrent
à MM. Commelin,
Bailhache et Desmazures qui venaient de créer l'accumulateur
léger à liquide alcalin. Et le 20 septembre 1887 le même
canot où M. Reynier avait échoué faisait les triomphants
essais du Hâvre, qui dotaient définitivement notre Marine
du canot
électrique porte-torpilles.
Sans perdre de temps, les ingénieurs, sûrs du succès
se mettaient à l'oeuvre, le capitaine Krebs faisait exécuter
son moteur multipôlaire
de 60 CV de force. M. Zédé confiait à M. Romazotti,
ingénieur des Constructions Navales, l'exécution des plans
du Gymnote qui était mis en chantiers dans l'arsenal de Toulon.
Et MM. Commelin et Desmazures procédaient à la confection
de la batterie géante de 564 accumulateurs devant avoir une capacité
de 93 millions de kgm (345 CV/h).
Le regretté Desmazures mourait presque subitement en janvier dernier,
mais M. Commelin, patriotiquement aidé par Mme Desmazures, put mener
à bien sa part de l'oeuvre. Bref, le 24 septembre dernier, un an
après sa mise en chantier, Le Gymnote parachevé quittait
la cale du Mourillon. En deux mois tout était installé à
bord et l'on procédait ces jours-ci à ses essais dessus et
sous l'eau.
À la partie supérieure règne une étroite plate-forme
sur laquelle est pratiquée un trou d'homme de 0,45 m pour l'introduction
de l'équipage. Au centre est une
petite coupole munie de miroirs et de réflecteurs, qui permettent
à l'officier commandant de voir tout ce qui se passe au dehors du
torpilleur et de se diriger sous l'eau. [...]
L'appareil moteur est une machine électrique. Elle a 16 pôles
disposés autour d'un anneau mobile de 1 m de diamètre et
muni d'un collecteur avec 4 balais : deux pour la marche avant, deux pour
la marche arrière. Elle tourne à 250 tours par minute et
actionne directement l'hélice. Ce moteur pèse 2000 kg et
peut fournir une force normale de 60 CV avec un courant normal de 220 ampères
et une différence de potentiel de 200 volts.[...] Chacun des 564
accumuleurs pèse 17,5 kg soit en tout 9840 kg. Vue la capacité
de 345 CV/h, cela fait un poids de 28,6 kg par cheval utile emmagasiné.
Sa capacité d'énergie permet de soutenir pendant 6 heures
une vitesse de 10 noeuds. Enfin les éléments sont groupés
de 4 façons pour obtenir 4 vitesses différentes.
Nous serons sobres de détails sur le mécanisme intérieur
du torpilleur, qui reste un secret absolument patriotique. Disons rapidement
cependant que la provision d'air respirable est fournie par des réservoirs
à air comprimé, que l'on obtient la submersion à des
profondeurs diverses par des réservoirs que l'on remplit d'eau en
quantité voulue et qui en est ensuite rejetée à l'aide
de pompes puissantes lorsqu'on veut remonter à la surface ; en fin
que tout, gouvernails, pompes, robinets, miroirs etc... y est mû
par l'électricité.
L'équipage fort succint du Gymnote se compose de l'officier commandant
(c'est le lieutenant
de vaisseau Baudry de la Cantinerie qui a été amené
à ce poste de choix), deux mécaniciens et un matelot. Les
essais de Toulon ont commencé dans le bassin Vauban pour se terminer
en rade. Ils ont émerveillé les rares privilégiés
qui y assistaient. Le bateau évolue comme un poisson à la
surface comme sous l'eau et se maintient avec précision à
la profondeur voulue, et cela à toutes les allures, se dirigeant
et prenant toutes les positions commandées avec une rare facilité.
L'émotion a été vive, et cela se conçoit, lorsqu'on
a vu pour la première fois le Gymnote, qui
filait alors à fleur d'eau, s'incliner de l'avant, puis immerger
l'appendice caudal de ses gouvernails, et finalement s'engloutir sous les
flots pour aller poursuivre sa navigation à 15 m de profondeur.
Ce fut un vrai soulagement pour tous les coeurs oppressés, lorsqu'on
le vit, quelques trop longues minutes après, surgir dans une direction
imprévue et montrer comme une tache rouge, au milieu d'un vaste
bouillonnement, son dos peint au minium.
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