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"Au début de 1900, je me trouvais, en qualité
d'enseigne torpilleur-électricien, sur le Charlemagne
dans l'escadre de la Méditerranée. Embarquement agréable,
intéressant aussi parce que ce cuirassé, qui venait d'entrer
en service, était le premier dont les tourelles, le cabestan, les
treuils, le gouvernail fussent mûs
électriquement, ce qui nous donnait fort à faire, à
mon chef de service et à moi,"
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"Il n'existait alors dans le monde que deux bateaux capables de plonger
: le petit Gymnote
de 30 tonnes, sous-marin d'expériences dont la conception était
due à l'illustre Dupuy
de Lôme, et le Gustave Zédé qui, avec ses
48 mètres de long et ses 261 tonnes de déplacement en surface,
faisait figure de géant."
"Tous deux étaient à Toulon, dans la darse Missiessy, entourés du plus grand secret. Personne n'était admis à les visiter, et un grillage gardé nuit et jour par des factionnaires en interdisait l'approche." |
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"On pouvait coupler
les batteries à 100, 200 ou 300 volts. Mais les canalisations
électriques étaient faibles et leur isolement médiocre.
À 200 volts tout chauffait déjà, à 300 les
accus entraient en ébullition et des étincelles jaillissaient
partout. En fait, ce couplage qui correspondait aux vitesses maxima (12
noeuds en surface, 9 en plongée) n'était jamais employé
et nous nous contentions le plus souvent du couplage à 100 volts
qui nous faisait marcher à 7 noeuds en surface et 5 en plongée."
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"La plongée est aujourd'hui quelque chose de très simple
et très facile, mais il n'en a pas toujours été aisni,
et les sous-mariniers d'aujourd'hui doivent cette aisances aux tâtonnements
du début. Or le Gustave Zédé, avec ses 269
tonnes en plongée, était si grand, pour les connaissances
de l'époque, que judqu'aux types Émeraude et Pluviose
(1905) on se tint, par prudence, à des dimensions moindre encore
que les siennes. Il était délicat à manoeuvrer, et
le commandant Jobard le conduisait avec une hardiesse raisonnée
qui méritait l'admiration."
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"On commençait à parler beaucouop des sous-marins,
et, le mystère aidant, nous étions entourés, mon commandant
et moi, d'une curiosité assez flatteuse. Des personnages importants
venaient nous voir et demandaient à faire une sortie avec nous.
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"Les grandes manœuvres navales commençaient dans la nuit
du 2 au 3 juillet [1901]. Le 2, vers la fin de l'après-midi, nous
sortîmes de l'arsenal. Le commandant et moi savions seuls où
nous allions. Sortis de la rade, nous trouvâmes le remorqueur Utile
qui nous traîna vers la Corse à la vitesse de 9 noeuds. Il
faisait un temps magnifique. Au milieu de la nuit, nous sentîmes
à une cinquantaine de milles la forte odeur du maquis. Le 3, au
petit jour, la remorque fut larguée, nous nous mîmes en plongée
et pénétrâmes dans la baie d'Ajaccio. L'escadre était
en train d'appareiller. Le commandant Jobard lança sa torpille dont
le cône de choc alla s'écraser sur la coque du cuirassé
Charles
Martel, et nous émergeames au milieu de la stupéfaction
générale, stupéfaction telle que les bâtiments
qui avaient commencé leur manœuvre de sortie la continuèrent
comme si nous n'avions pas existé, et que nous eûmes tout
juste le temps de plonger "en catastrophe" pour passer sous la quille du
cuirassé suivant, le Jauréguiberry,
qui sans cela nous aurait froidement coulés."
"L'amiral commandant l'escadre avait pourtant été avisé, officiellement, qu'il pourrait être attaqué par un sous-marin, mais il n'avait pas pris l'avertissement au sérieux. Il en jugea de même, du reste, pour le torpillage, et fit continuer les manœuvres par le Charles Martel considérant que ce "n'était pas de jeu". Mais il fut le seul de son avis. L'attaque du Zédé eut un retentissement énorme en France et à l'étranger, elle fournit un argument décisif aux partisans des sous-marins, et fut suivie de nombreuses mises en chantier dans tous les pays." |