À mon lecteur
Pardonne-moi, mon ami lecteur, si le pot-pourri
que je t'offre est dépourvu de sens commun et propre à alarmer
la plus honnête de tes conceptions maritimes. Les marins sont gens
peu connus à travers les Gaules ... J'entends les marins raisonnables,
ceux dont les bâtiments fendent la vaste mer, à la surface
d'icelle et sous la calotte des cieux.
Des foules de choses ont été écrites
sur leur compte. Ces gens-là ont la même histoire qui lie
leur âme et fixe leur physionomie particulière, mais le génie
disséqueur d'un Conrad ou la puissance descriptive d'un Farrère
suffisent à peine à détourner l'attention publique
de ses préoccupations continentales pour la diriger, l'espace d'un
éclair, vers cet infini de toute illusion et de toute réalité
: l'Océan ! ...
Le Français moyen, celui qui boit, mange,
se meut et raisonne à heure fixe, évite d'épiloguer
sur ce sujet. La vie maritime est, à son sens, dépourvue
d'épisodes et s'écoule imprégnée d'odeur de
goudron au lent bercer des vagues. À peine consent-il quelquefois
à admettre un « coup dur » dans ce farniente de conte
de fée qu'est pour lui l'existence à bord, réputée
paradisiaque et de tout repos ! ...
Cette opinion, pour erronée qu'elle soit,
s'applique aux navires de surface. Sur ceux qui plongent, le mutisme est
déconcertant. Je le trouve d'ailleurs préférable aux
mille et une facéties débitées par des gens informés
ou qui prétendent l'être.
Tes idées, à toi, sont précises
et peuvent se résumer en trois mots : prison qui marche ... Après
tout, ce n'est ni simpliste ni ridicule. La technique du submersible n'est
point ton fait et tu n'as que faire des définitions grandiloquentes
... Prison qui marche ... j'aime assez ça ... Ces mots font image
et, si tu vois très bien la chose, pourquoi t'en demander davantage
?
Ce petit livre n'a donc pour but, ni de t'initier
aux complications mécaniques du bateau qui plonge, ni de t'entretenir
du batau lui-même, mais plus simplement de ceux qui l'habitent ...
ou qui vivent autour ... qui vécurent plutôt, car ces temps
fabuleux sont passés où le plus important des problèmes
tactiques consistait à traquer ou à fuir ... la prison sournoise.
Traquer ! ... Rôle des chasseurs, éclaireurs,
patrouilleurs d'escadre et dragueurs de mines.
Fuir ! ... Calvaire des grands navires, des honnêtes
cargos et des transports.
Les faits et gestes de ces gens là, dessus
comme dessous, sont quelque chose de légendaire dont l'histoire
recueillera les détails les plus minuscules. Je ne prétends
pas aider à l'histoire. Mon rôle est beaucoup plus modeste
... celui d'un conteur ou d'un narrateur tout au plus.
Si la lecture de ces nouvelles te suggère
d'utiles réflexions sur la conduite des humbles parmi les humbles,
ma besogne ne m'aura point pesé.
Si, par contre, la nature de ton goût t'incite
à blâmer en toi-même les épisodes humoristiques
ou propos grivois qu'ont entre eux les marins après boire, laisse
aller ton humeur à sa guise. Du moins rendrai-je grâces au
dispensateur de toute joie de t'avoir fait morose ... à la surface
... pour moins regretter la surface ... en plongée ...
B.F.