Tout le monde sait avec quel dévouement l'admirable corps des pompiers de Paris sait accomplir son devoir ; mais encore faut-il qu'il soit prévenu à temps pour combattre avec succès son redoutable ennemi. La dernière statistique établie par le colonel Couston constate que le nombre des incendies, depuis 1882, a toujours été en diminuant. Cette diminution est due à la rapidité avec laquelle, au moyen du réseau télégraphique, on peut appeler les secours. Il faut espérer qu'avant peu ce réseau sera complété par de nombreux avertisseurs publics placés dans tous les quartiers, et que grâce à eux les sinistres deviendront de plus en plus rares. »
Le problème que s'est proposé de résoudre M. Digeon est plus complexe et consiste, au moyen d'appareils très simples, à relier des postes de secours, postes de pompiers, de police, casernes, forts, etc., à un ou plusieurs points quelconques formant postes d'appel, laissés à la disposition du public et lui permettant de se mettre en communication téléphonique avec les postes de secours. Toute personne peut se servir du système sans étude préalable, ni connaissances spéciales. Le circuit sur lequel sont montés les appareils est à courant continu, ce qui permet de constater immédiatement tout dérangement. [...] » La Nature a déjà décrit en son temps le système d'avertisseur à plaque de verre installé le long des murs dans quelques quartiers du centre de Paris [système Petit]. Cette installation remonte au 10 janvier 1885 ; 44 de ces appareils ont été mis en service. Pendant ces quatre années, ils ont signalé 260 incendies, 43 en 1885, 85 en 1886, 70 en 1887 et 62 en 1888. Mais ils ont donné lieu à 150 alertes inutiles, causées par de mauvais plaisants qui s'évertuaient à déranger les pompiers sans aucun motif. C'est précisément par suite de ces alertes inutiles qu'on a songé à modifier ces appareils, et c'est pour remédier à cet inconvénient qu'on a imaginé le nouvel avertisseur dont nous voulons parler aujourd'hui. Il a été créé de toutes pièces par M. Petit, contrôleur principal des lignes télégraphiques, pour satisfaire aux desiderata exprimés par la Commission qui a été visiter récemment l'organisation des services de pompiers aux États-Unis. [...] ² Nous tenons à remercier M. le capitaine Krebs et M. Petit de l'extrême obligeance avec laquelle ils nous ont comminiqué les photographies que nous reproduisons.. [...] »
« - Matériel d'avertissement Les appareils avertisseurs sont de deux sortes :les avertisseurs proprement dits et les révélateurs d'incendie. En outre, dans les villes qui n'ont pas de réseau téléphonique et dans les campagnes, on a encore recours aux appels de clairon et au tocsin, qu'on fait suivre, pour indiquer la direction du sinistre, d'un nombre convenu de coups de langue ou de coups frappés à la main sur la cloche. Avertisseurs. Ils sont destinés à multiplier les
moyens d'appel. Le téléphone en est la base. Dans plusieurs
grandes villes, on se borne à relier le poste central des pompiers
au réseau urbain. Dans d'autres, comme Paris, on fait usage d'avertisseurs
spéciaux, publics ou particuliers. l'avertisseur public est placé
sur la voie publique, à la disposition de tout le monde. Le plus
pratique est l'avertisseur téléphonique du système
Digeon, en usage à Paris. Il repose sur une colonne métallique
et est renfermé dans une boîte en fonte. En brisant une petite
glace qui couvre la face extérieure de la porte, celle-ci s'ouvre
d'elle-même et met à découvert, comme le montre la
figure [ci-dessus], outre un avis en gros caractères, qui fait connaître
ce qu'on doit faire, l'embouchure d'un téléphone en communication
avec le poste le plus voisin. Une double sonnerie d'alarme se trouve en
même temps déclenchée : l'une, très forte, dans
l'avertisseur même, en vue de d'attirer l'attention des passants
et d'éviter les fausses alertes, l'autre, au poste, pour avertir
le pompier de service. Dès que celui-ci a bien compris les indications
qu'on lui téléphone, il en prévient l'appelant en
lui envoyant, par le jeu d'un mécanisme spécial, une sorte
de ronflement, puis les pompiers partent.
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"La difficile évolution
des communications vers le téléphone"
Par Didier ROLLAND
historien
Adjudant-chef à la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris
Extrait (en 5.3, page 63) de son mémoire de maîtrise
"La carrière militaire et industrielle d'Arthur Constantin Krebs (1870-1916)"
Univertsité de Paris-X Nanterre
2003« Lors de la séance du 11 décembre 1888, le capitaine Krebs suggère la mise en place d'avertisseurs téléphoniques pour remplacer les appareils à système télégraphique dans les rues. Le coût de remplacement des appareils déjà installés ajouté au coût de nouveaux appareils confortent les adversaires du téléphone, un système « qui ne laisse pas de trace écrite », contrairement aux dépêches Morse du télégraphe. Pourtant ouvert au progrès le colonel Couston est réfractaire lorsqu'il s'agit d'adopter le téléphone. Il conclut son étude sur les avertisseurs téléphoniques en usage à Amsterdam lors du voyage d'étude de 1884 : « Quant à nous latins spirituels et bavards, nous ferions certainement du téléphone d'incendie un réseau de confusion officielle et de causerie privée. »
L'installation d'un système téléphonique refusé, le capitaine Krebs demande néanmoins une disposition technique particulière. Le comité décida après discussion que le système d'avertisseurs ne serait pas changé pour le moment. Toutefois, sur proposition du capitaine Krebs, il fut décidé que le réseau des 480 avertisseurs serait établi avec un double fil « afin que l'on puisse par la suite remplacer les appareils électriques par des appareils téléphoniques ». Respectueux de la hiérarchie, Arthur Krebs n'en était pas moins déterminé. Il n'a jamais renoncé à son projet et préparait par ce détail le moment plus propice à l'évolution qu'il avait décidé d'imposer.
Dans son action de modernisation, Krebs s'est naturellement trouvé face à l'inertie de la part de certains partenaires techniques du Régiment et il a dû bousculer les anciennes alliances commerciales pour arriver à ses fins. Ainsi, il n'hésite pas à s'associer à de nouveaux partenaires plus actifs dans le domaine de l'innovation et répondant à sa demande en ce qui concerne la modernisation des avertisseurs. Le réseau de communication d'alerte est la clé de voûte de la transformation du service incendie et les enjeux techniques et commerciaux sont importants. Krebs l'a compris et il cherche à développer coûte que coûte le système dont il souhaite équiper Paris. Ceci vaut au Régiment une lettre de réclamation de la maison Bréguet adressée au préfet de police.
L'affaire est traitée devant les instances du comité de perfectionnement. La maison Bréguet est jusqu'alors fournisseur des avertisseurs de l'administration des télégraphes pour le compte des sapeurs-pompiers. Son directeur s'étonne que le Régiment fasse étudier à son insu des appareils en service et que le constructeur ait fait breveter son invention (l'avertisseur téléphonique). La maison Bréguet reproche explicitement cette initiative au capitaine ingénieur en s'appuyant sur le fait qu'elle lui a proposé son concours à ce sujet. La réponse du colonel Ruyssens, chef de corps et successeur du colonel Couston, présente une argumentation qui défend Krebs : « l'avertisseur Petit a été adopté par le Régiment de sapeurs-pompiers de Paris par le comité de perfectionnement dans sa séance du 11 décembre 1888, quoiqu'un avertisseur système Digeon présenté dans la même séance assurait des communications plus complètes. En effet ce dernier établissait des communications téléphoniques avec le poste appelé. Ce sont des considérations d'ordre moral, le conseil se croyant commercialement engagé avec la maison Bréguet, plutôt que technique, qui ont fait rejeter ce dernier. »
Krebs, une fois de plus déterminé, avec cette logique technique qui le caractérise, révèle à mot couvert l'influence qu'a pu avoir la maison Bréguet, soutenue par les réticences du colonel Couston, dans le refus de voir adopter un appareil qu'il n'était pas en mesure de fournir. Krebs s'associe à un autre inventeur, M. Gigeon après avoir sollicité l'inventeur de l'avertisseur originel, M. Petit. Selon les termes de la réponse du colonel, « M. Petit a répondu qu'il ne lui paraissait pas possible d'établir un avertisseur téléphonique. Le Régiment a cherché ailleurs. »
Cette affaire, qui se soldera par la transformation de l'avertissuer Petit par le système Digeon, montre à quel point le capitaine ingénieur avait prévu d'arriver à ses fins en faisant installer un deuxième fil aux avertisseurs, malgré le rejet du téléphone.
Soutenu par le nouveau chef de corps du Régiment, le capitaine ingénieur a relancé la recherche dans ce domaine. À ce titre, Krebs a lui-même perfectionné un téléphone dont il a augmenté les dimensions de la plaque afin d'obtenir une meilleure qualité de la voix lors des transmissions.
La mise en place de ce système est également destiné à tenter de juguler les fausses alertes qui se développent de 1888 à 1889. Effet pervers de la modernisation, cette transformation n'aura pas d'incidence sur les fausses alkertes. Très ironiquement, ce sont précisément ces mêmes fausses alertes et le développement du téléphone en France qui feront abandonner ce système au début des années 1980. »