La description dans le Moniteur universel On vit le gouvernail se mouvoir Un parcours total de 7 kilomètres 600 mètres |
CHAPITRE VI p 664 LE BALLON DIRIGEABLE DES CAPITAINES RENARD ET KREBS. - EXPÉRIENCES DU 9 AOÛT 1884. - RÉSULTATS CONSTATÉS. - EXPÉRIENCE DU 2 SEPTEMBRE. - LE BALLON DIRIGEABLE DE MM. TISSANDIER FRÈRES, EXPÉRIMENTÉ DE NOUVEAU, LE 29 SEPTEMBRE 1884. - NOUVELLES EXPÉRIENCES DES CAPITAINES RENARD ET KREBS, LE 9 NOVEMBRE 1884. - DOCUMENTS DIVERS. - CONCLUSION. Après l'aérostat dirigeable de MM. Gaston Tissandier, est venu un appareil à peu près semblable, mais qui a fait beaucoup plus de bruit dans le monde scientifique et extra-scientifique. Nous voulons parler de l'appareil de deux capitaines de Meudon, MM. Renard et Krebs. La séance de l'académie des sciences du 18 août 1884 fut particulièrement intéressante pour tous ceux qui y assistaient. La surprise générale était motivée par une communication d'Hervé-Mangon, qui annonçait le résultat favorable d'une ascension faite dans un ballon dirigeable. Hervé-Mangon fit précéder sa communication d'une notice historique, pour démontrer que tous les efforts tentés jusqu'à l'expérience des deux capitaines de l'École aérostatique de Meudon étaient restés sans résultats ; ce qui était peu exact, hâtons-nous de le dire, attendu que les beaux travaux de Giffard, de Dupuy de Lôme et de MM. Tissandier frères ne pouvaient être passés sous silence, sans la plus flagrante injustice ou la plus complète ignorance. Quoiqu'il en soit Hervé-Mangon, dans sa communication, affirmait que la solution pratique du problème de la direction des ballons venait d'être trouvée par les ingénieurs militaires du gouvernement français. Voici les particularités que
présenta l'expérience de direction aérostatique dont
parlait Hervé-Mangon.
C'est le 9 août 1884 que l'aérostat de l'École de Meudon s'élevait dans les airs, poussé par un moteur électrique. Il monta, par un temps calme, à une hauteur de 300 mètres environ. L'hélice fut alors mise en mouvement, et l'aérostat se dirigea vers un point assigné d'avance. Sa marche, lente d'abord, s'accéléra graduellement, et l'aérostat s'engagea au-dessus de la forêt de Meudon. La brise soufflait de l'est, avec une vitesse de 5 mètres seconde : la marche du ballon s'effectuait contre le vent. MM. Renard et Krebs remplissaient des fonctions diverses. Tandis que l'un manoeuvrait le gouvernail, l'autre maintenait la permanence de la hauteur. Arrivés au-dessus de l'ermitage de Villebon, l'officier qui tenait le gouvernail agita un drapeau : c'était le signal du retour. On était arrivé à l'endroit désigné par avance, et il s'agissait de revenir au point de départ. On vit alors l'aérostat virer de bord, en décrivant majestueusement un demi-cercle de 300 mètres de rayon environ, et il se dirigea vers Meudon. Arrivé près de la pelouse,
où le départ avait lieu, le ballon s'abaissa graduellement,
obliqua, fit machine en arrière, machine en avant, et finalement,
atterrit à l'endroit voulu.
La description exacte de l'expérience du 9 août fut publiée, dès le lendemain, 10, dans le Moniteur universel. Voici comment ce voyage était raconté dans ce journal : "Hier samedi, 9 août 1884, un aérostat ayant la forme d'un cigare très allongé, muni d'une hélice et d'un gouvernail et mis en mouvement par un moteur mystérieux, d'une puissance étonnante, eu égard à sa légèreté, s'est élevé majestueusement des ateliers d'aérostation de Meudon. "Les aéronautes laissèrent d'abord le ballon monter à une hauteur un peu supérieure à celle du plateau de Châtillon. À ce moment ils mirent en mouvement leur hélice, et l'on vit alors un merveilleux spectacle. L'aérostat s'ébranla, lentement d'abord, accéléra peu à peu son allure, et on le vit se diriger vers l'est, avec la vitesse d'un cheval au galop. Bientôt il sortit de l'enceinte du parc de Chalais, et s'engagea au-dessus de la forêt de Meudon. "Au bout de quelques moments, on vit le gouvernail se mouvoir et le ballon évoluer avec la précision d'un steamer ; l'aérostat atteignit bientôt le Petit-Bicêtre et Villacoublay. Il effectua en ce moment un virage complet, et revint sur ses pas en décrivant une courbe majestueuse. "Enfin, après vingt-cinq minutes de voyage, il atteignit exactement son point de départ et descendit, après une série de manoeuvres habiles, dans la pelouse même d'où il s'était élevé. "Nous avons eu l'heureuse chance d'assister, du bois de Meudon, à cette magnifique expérience, que tous les habitués de cette charmante forêt ont pu voir comme nous. "Nous avons vu la pelouse du départ et de l'atterrissage. Ses dimensions sont très exigües : 150 mètres de longueur, sur 75 de largeur environ. "Elle est entourée d'obstacles redoutables, grands arbres, bâtiments élevés, étang de plusieurs hectares, etc. "Il fallait aux aéronautes une grande audace et une prodigieuse confiance dans leur appareil pour essayer d'atterrir dans un aussi petit espace. Pour tous les spectateurs de cette expérience, c'est là un véritable tour de force. "Après une pareille expérience, on peut dire, sans aucune exagération, que le problème, si longtemps cherché, est enfin résolu, et que la route de l'air est ouverte. "Ce qui semblait hier une utopie est aujourd'hui passé dans le domaine des faits. Un ballon est parti de son port et y est fidèlement revenu, avec une précision telle qu'on n'aurait pu mieux faire avec un bateau à vapeur. "Le ballon était monté par le capitaine du génie Ch. Renard, directeur des ateliers d'aérostation de Meudon, et à qui notre pays doit déjà tant de découvertes utiles et d'applications heureuses de l'instrument des Montgolfier et des Charles à l'art de la guerre. "Le capitaine Ch. Renard était accompagné du capitaine Arthur Krebs, qui a été pendant près de six années son collaborateur, et qui doit partager avec lui tout l'honneur de cette merveilleuse invention. "C'est une gloire pour l'armée française d'avoir dans son sein des hommes de cette valeur. "C'est aussi une grande gloire pour la nation française d'avoir complété la découverte de Montgolfier en transformant la bouée aérienne en un navire dirigeable. "La navigation aérienne est aujourd'hui doublement un art français ; mais les bienfaits de la nouvelle découverte s'étendront évidemment sur le monde entier. "Nous sommes à la veille d'une
révolution complète dans l'art de la locomotion, révolution
dont les conséquences sociales et internationales dépasseront
probablement les prévisions les plus optimistes. Heureux ceux qui
vivront assez pour assister à cette transformation et en goûter
les bienfaits Après ce récit du premier voyage des capitaines de Meudon, - récit trop dithyrambique - nous donnerons quelques détails sur la construction et les dispositions du nouvel aérostat. Pour qu'un ballon offre à l'air une résistance suffisante, il est indispensable que l'étoffe présente une rigidité absolue. Dans le cas contraire, l'enveloppe, détendue, n'est plus qu'une surface flottante se comportant comme une voile, et dans les plis de laquelle le vent s'engouffre. Ce fait se produit chaque fois qu'en opérant un mouvement de descente, on laisse échapper une certaine quantité de gaz. MM. Renard et Krebs, suivant un procédé déjà employé avant eux, avaient établi à l'intérieur de l'aérostat, un ballonnet compensateur. Chaque fois que les nécessités de la manoeuvre exigent une déperdition d'hydrogène, on insuffle dans ce ballonnet, au moyen d'un ventilateur, une quantité équivalente d'air, et la surface externe reprend sa rigidité première. À l'arrière de la nacelle se trouvent placées, dans une position horizontale, deux grandes palettes, en forme de rames, qui servent à modérer la descente. L'hélice, qui a 7 mètres de diamètre, peut faire 47 tours à la minute. La force motrice, susceptible d'atteindre huit chevaux-vapeur, est obtenue à l'aide d'une machine dynamo-électrique, construite dans des conditions de légèreté exceptionnelles. Enfin, le générateur d'électricité est une pile inventée par M. [Renard], directeur de l'atelier aérostatique. Elle est d'une grande puissance, quoique d'un très petit volume. Dans la communication qu'il adressa à l'Académie des sciences, le 18 août 1884, M. [Renard] ne donnait aucune indication au sujet de la composition de cette pile voltaïque. Elle avait deux défauts : son action avait une durée très limitée, ce qui ne permettait pas d'exécuter de longues excursions, et les éléments dont elle se composait étaient d'un prix élevé. Comme nous le verrons plus loin, M.
[Renard] l'a plus tard modifiée avantageusement.
Voici maintenant quelques renseignements sur la personne et les travaux des deux capitaines aéronautes. M. le capitaine Renard est né à la fin de 1847 à Damblain, dans le canton de Lamarche (Vosges). C'est au collège de la Trinité, dans sa ville natale, qu'il commença et termina ses quatre années d'études secondaires, et il gagna, à seize ans, son diplôme de bachelier ès sciences. Il acheva brillament ses études au lycée de Nancy et remporta, à dix-huit ans, le grand prix dans la Faculté des sciences, au concours général. En 1866, il entra à l'École polytechnique, et quand éclata la malheureuse guerre de 1870, il sortait de l'École d'application de Metz pour prendre, en qualité de lieutenant, le commandement de la compagnie du génie attachée au corps d'armée de la Loire. Il s'y distingua par sa vaillante conduite. En 1878, le renom qu'il avait acquis dans l'armée par ses aptitudes scientifiques lui fit confier le service de l'aérostation militaire. Le ministre de la guerre créa dans le parc de Chalais, près de Meudon, une école d'aérostation où il put poursuivre ses expériences. Dès lors notre savant capitaine se consacra à l'étude de trois problèmes :
Ces deux difficultés furent résolues d'une façon très pratique. Quant au troisième problème, le ballon dirigeable, le capitaine Krebs crut l'avoir résolu en adoptant un moteur à la fois d'une légèreté et d'une puissance suffisantes, en même temps que d'une sûreté complète. nous verrons pourtant que le résultat ne peut être considéré comme entièrement satisfaisant. Quoiqu'il en soit, nous ajouterons que le capitaine Renard a su se procurer des auxiliaires précieux pour lui venir en aide dans l'accomplissement de sa tâche. Nous nommerons tout d'abord Arthur Krebs et Paul Renard, le premier ayant la direction des constructions mécaniques, et le second chargé par l'autorité militaire de la construction des bâtiments et de la direction des manipulations qui se rapportent à la fabrication du gaz et, en outre, de la direction du personnel et de divers objets d'administration. Nous nommerons ensuite M. Duté-Poitevin, aéronaute attaché à l'Établissement, à qui incombe la fabrication des ballons et leur entretien ; enfin M. Lépine, contremaître des ateliers de constructions mécaniques. Le voyage aérien du 9 août 1884 a été raconté par les voyageurs eux-mêmes, dans une commnunication faite à l'Académie des sciences, dans la séance du 18 août. Nous croyons devoir citer textuellement ce récit : "À 4 heures du soir, disent les auteurs, l'aérostat de forme allongée, muni d'une hélice et d'un gouvernail, s'est élevé, en ascension libre, monté par MM. le capitaine du génie Renard, directeur des ateliers militaires de Chalais, et le capitaine d'infanterie Krebs, son collaborateur depuis six ans. "Après un parcours total de 7 kilomètres 600 mètres, effectué en vingt-trois minutes, le ballon est venu atterrir à son point de départ, après avoir exécuté une série de manoeuvres avec une précision comparable à celle d'un navire à hélice évoluant sur l'eau. "La solution de ce problème tentée déjà en 1855, en employant la vapeur, par H. Giffard, en 1872 par M. Dupuy de Lôme, qui utilisa la force musculaire des hommes et enfin l'année dernière par M. Tissandier, qui le premier a appliqué l'électricité à la propulsion des ballons, n'avait été jusqu'à ce jour que très imparfaite, puisque dans aucun cas l'aérostat n'était revenu à son point de départ. "MM. Renard et Krebs ont été
guidés dans leurs travaux par les études de M. Dupuy de Lôme
relatives à la construction de son aérostat de 1870-1872,
et, de plus, ils se sont attachés à remplir les conditions
suivantes :
"L'exécution de ce programme et les études qu'il comporte ont été faites par ces officiers en collaboration ; toutefois, il importe de faire ressortir la part prise plus spécialement par chacun d'eux dans certaines parties de ce travail. "L'étude de la disposition particulière de la chemise de suspension, la détermination du volume du ballonnet, les dispositions ayant pour but d'assurer la stabilité longitudinale du ballon, le calcul des dimensions à donner aux pièces de la nacelle, enfin l'invention et la construction d'une pile nouvelle, d'une puissance et d'une légèreté exceptionnelles, sont l'oeuvre personnelle de M. le capitaine Renard. "Les divers détails de construction du ballon, son mode de réunion avec la chemise, le système de construction de l'hélice et du gouvernail, l'étude du moteur électrique calculé d'après une méthode nouvelle basée sur des expériences préliminaires permettant de déterminer tous les éléments pour une force donnée, sont l'oeuvre de M. Krebs, qui, grâce à des dispositions spéciales, est parvenu à établir cet appareil dans des conditions de légèreté inusitées. "Les dimensions principales du ballon sont les suivantes : longueur, 52m.,42 ; diamètre, 8m.,40 ; volume, 1864 mètres cubes. "L'évaluation du travail nécessaire pour imprimer à l'aérostat une vitesse donnée a été faite de deux manières :
"La machine motrice a été construite de manière à pouvoir développer sur l'arbre 8,5 chevaux-vapeur, représentant, pour le courant aux bornes d'entrée, 12 chevaux. "Elle transmet son mouvement à l'arbre de l'hélice par l'intermédiaire d'un pignon engrenant avec une grande roue. "La pile est divisée en quatre sections, pouvant être groupées en surface ou en tension de trois manières différentes. Son poids, par cheval-heure, mesuré aux bornes, est de 19kg.,350. "Quelques expériences ont été faites pour mesurer la traction au point fixe, qui a atteint le chiffre de 60 kilogrammes pour un travail électrique développé de 840 kilogrammètres et de 46 tours d'hélice par minute. "Deux sorties préliminaires, dans lesquelles le ballon était équilibré et maintenu à une cinquantaine de mètres au-dessus du sol, ont permis de connaître la puissance de giration de l'appareil. "Enfin, le 9 août, les poids enlevés étaient les suivants (force ascensionnelle totale environ 2000 kilogrammes) : Ballon et ballonnet 369 kil."À 4 heures du soir, par un temps presque calme, l'aérostat, laissé libre et possédant une très faible force ascensionnelle, s'élevait lentement jusqu'à hauteur des plateaux environnants. La machine fut mise en mouvement, et bientôt, sous son impulsion, l'aérostat accélérait sa marche, obéissant fidèlement à la moindre indication de son gouvernail. "La route fut d'abord tenue nord-sud, se dirigeant sur le plateau de Châtillon et de Verrières ; à hauteur de la route de Choisy à Versailles, et pour ne pas s'engager au-dessus des arbres, la direction fut changée, et l'avant du ballon dirigé sur Versailles. "Au-dessus de Villacoublay, nous trouvant éloigné de Chalais d'environ 4 kilomètres, et entièrement satisfaits de la manière dont le ballon se comportait en route, nous décidions de revenir sur nos pas et de tenter de descendre sur Chalais même, malgré le peu d'espace découvert laissé par les arbres. Le ballon exécuta son demi-tour sur la droite, avec un angle très faible (environ 11°) donné au gouvernail. Le diamètre du cercle décrit fut d'environ 800 mètres. "Le dôme des Invalides, pris comme point de direction, laissait alors Chalais un peu à gauche de la route. "Arrivé à hauteur de ce point, le ballon exécuta, avec autant de facilité que précédemmant, un changement de direction sur sa gauche, et bientôt il venait planer à 300 mètres au-dessus de son point de départ. La tendance à descendre que possédait le ballon à ce moment, fut accusée davantage par une manoeuvre de la soupape. Pendant ce temps, il fallut, à plusieurs reprises, faire machine en arrière et en avant, afin de ramener le ballon au-dessus du point choisi pour l'atterrissage. "À 80 mètres au-dessus du sol, une corde larguée du ballon fut saisie par des hommes, et l'aérostat fut ramené dans la prairie même d'où il était parti. Chemin parcouru avec la machine,"À plusieurs reprises, pendant la marche, le ballon eut à subir des oscillations de 2 à 3 degrés d'amplitude, analogues au tangage ; ces oscillations peuvent être attribuées soit à des irrégularités de forme soit à des courants d'air locaux dans le sens vertical. "Ce premier essai sera suivi prochainement
d'autres expériences faites avec la machine au complet, permettant
d'espérer des résultats encore plus concluants.
[...]Pour quelques personnes la question de la navigation aérienne était résolue par les expériences que nous venons de rapporter. Il y avait cependant bien des questions encore à résoudre. Ces questions avaient une grande portée ; elles embrassaient la forme définitive du ballon, la disposition de la nacelle, le moteur, etc., etc. Comme le faisait judicieusement remarquer M. Wilfrid de Fonvielle, dans le Spectateur militaire, "non seulement les aéronautes auront à maintenir leur gaz dans l'enveloppe de soie, mais il faut, en outre, qu'ils se préoccupent des changements de forme de leur ballon, des ruptures d'équilibres provenant de la pluie, de la grêle, de l'action du soleil, de celle des nuages ou du rayonnement vers les espaces célestes. Il faut qu'ils apprennent à lire leur direction sur la voûte céleste, car la surface de la terre sera très souvent cachée. Il est indispensable qu'ils se garantissent contre les effets de la foudre, qui seront d'autant plus redoutables qu'elle pourrait être appelée par le mouvement de leur navire aérien, ou attirée par les objets en fer que la nacelle d'un ballon dirigeables renfermera inévitablement en grand nombre". Pour M. de Fonvielle, si l'expérience du 9 août 1884 eut une grande valeur, c'est surtout parce qu'elle put convaincre la masse du vulgaire de la possibilité de voyager dans les airs en se dirigeant. "Si cette expérience a une importance capitale, dit M. de Fonvielle, c'est qu'elle a permis de montrer aux ignorants ou aux sceptiques de parti pris que la recherche de la direction des ballons ne doit point être confondue avec la quadrature du cercle ou le mouvement perpétuel. "Le but n'est pas au-dessus des efforts
des ingénieurs et des physiciens, comme tant de sceptiques le supposaient
; mais la solution pratique et définitive ne doit être cherchée,
ni avec l'allongement que les aéronautes de Meudon ont adopté,
à moins de progrès dont nous n'avons point l'idée.
Le même écrivain revient, à plusieurs reprises, sur la valeur propre qu'il faut donner à l'expérience des aéronautes de Chalais. "Cette expérience est importante,
dit-il, parce qu'elle donne la démonstration populaire, dont
les ignorants avaient besoin. C'est à ce point de vue qu'on doit
féliciter les officiers de Meudon du succès qu'ils ont obtenu
; mais il serait dangereux de le faire dans les termes dont M. Hervé-Mangon
s'est servi devant l'Académie, et en s'appuyant sur les raisons
qu'il a indiquées.
On ne peut pas être plus explicite, et M. de Fonvielle ne laisse aucun nuage sur sa pensée, lorsqu'il ajoute : "Depuis le 9 août 1884, il n'y
a rien de changé dans la navigation aérienne.
En résumé,
et pour bien fixer le droit de MM. Renard et Krebs dans cette intéressante
étude, nous dirons que ces deux officiers ont certainement dirigé
un aérostat, comme ils l'ont voulu, dans des conditions atmosphériques
favorables. Ils ont prouvé, expérimentalement, qu'on
peut se diriger en ballon, et ils ont réuni un ensemble de conditions
qui leur ont fait atteindre le but désiré. Qu'ils aient profité
de travaux antérieurs aux leurs, particulièrement de l'expérience
de H. Giffard de 1852, sur la forme du ballon, et des dispositions du ballon
de Dupuy de Lôme, construit après le siège de Paris,
et qui résumait toutes les modifications apportées jusque-là
à l'aéronautique, enfin qu'ils se soient fortement inspirés
du ballon dirigeable mû par l'électricité de MM. Tissandier
frères, construit en 1883, rien n'est plus vrai ; mais c'est là
l'histoire de toutes les inventions. Aucune découverte, aucune application
nouvelle ne se fait tout d'un coup ; c'est par des progrès successifs
qu'on arrive enfin au but longtemps poursuivi sans succès par bien
d'autres, et souvent avec des idées semblables.
Pour continuer ce récit, nous dirons qu'une nouvelle expérience du ballon de Chalais fut faite le 12 septembre 1884, mais qu'elle n'eut pas tout le succès qu'on en attendait. Le ministre de la guerre était présent, on avait constaté que la vitesse du vent était de 25 kilomètres à l'heure : celle du ballon fut de 26 kilomètres seulement. MM. Renard et Krebs s'élevèrent à 4 heures 40 minutes. Le vent menait le ballon vers Vélizy. À dix minutes de Chalais, on fit jouer l'hélice, et l'aérostat revint vers son point de départ. Ensuite les aéronautes laissèrent le vent les pousser vers Vélizy. Là, ils désignèrent le lieu de la descente. C'était une plaine ; le ballon s'arrêta à un mètre du sol, et les voyageurs mirent pied à terre à 5 heures. Le gaz s'était échappé en grande partie, et des laboureurs ramenèrent le ballon à Chalais. MM. Renard et Krebs affirment que si un accident ne s'était pas produit, ils seraient revenus, contre le vent, à leur point de départ. Ils donnent pour preuve ce fait que, malgré la rupture de l'une des piles, ils ont pu opérer leur descente dans une carrière dont la superficie totale ne dépasse pas 20 mètres carrés. [Communication à l'Académie des sciences, séance du 29 septembre 1884, de MM. Tissandier sur leur ascension du 26 septembre 1884] "L'ascension du 26 septembre aura donné une démonstration expérimentale des aérostats fusiformes, symétriques, avec hélice à l'arrière, et cela sans qu'il ait été nécessaire de rapprocher dans la construction les centres de traction et de résistance. La disposition que nous avons adoptée favorise considérablement la stabilité du système, sans exclure la possibilité de construire des aérostats très allongés et de très grandes dimensions, qui peuvent seuls assurer l'avenir de la locomotion atmosphérique. "MM. les capitaines Renard et Krebs ont brillament démontré, d'autre part, que l'hélice pouvait être placée à l'avant, et qu'il était possible de rapprocher considérablement la nacelle d'un aérostat pisciforme auquel elle est attachée ; ils ont obtenu, grâce à l'emploi d'un moteur très léger, une vitesse propre qui n'avait jamais été atteinte avant eux. Nous rendons hommage au grand mérite de MM. Renard et Krebs, comme ils l'ont fait eux-même à l'égard de l'antériorité de nos essais en ce qui concerne l'application de l'électricité à la navigation aérienne. [...] Pour terminer l'histoire de la campagne aérostatique de 1884, nous dirons que les capitaines Renard et Krebs prirent, le 8 novembre 1884, une revanche de leur échec du 12 septembre. Nous avons dit que, le 12 septembre, le ballon de Chalais avait exécuté une ascension peu réussie. Aussi le public, d'abord enthousiasmé, n'avait-il pas tardé à revenir sur sa première impression. L'admiration de la première heure avait fait place au doute. Mais il ne fallait attribuer l'insuccès de l'essai du 12 septembre qu'à un accident de machine, qui avait mis momentanément l'appareil hors de service. Cet accident n'enlevait rien à la valeur du système. L'expérience du 8 novembre le prouva. Vers midi, l'aérostat dirigeable de Chalais-Meudon s'élevait lentement au-dessus de la pelouse des départs. Arrivé à la hauteur des plateaux, le ballon commença à se mouvoir, sous l'influence de son hélice, dont la vitesse s'accéléra peu à peu. Après un premier virage, l'aérostat se dirigea en droite ligne vers le viaduc de Meudon, qu'il franchit bientôt. Une légère brise du nord-ouest lui fit traverser la Seine, en aval du pont de Billancourt. Il s'engagea sur la rive droite, pendant quelques minutes encore, dans la direction de Longchamp, et s'arrêta brusquement à 500 ou 600 mètres du fleuve. Les aéronautes s'abandonnèrent alors au courant aérien, probablement pour mesurer sa vitesse. Après 5 minutes d'arrêt, l'hélice fut remise en mouvement : le ballon décrivit un demi-cercle, et se dirigea vers son point de départ avec une rectitude parfaite. Il traversa Meudon assez raidement, et après 45 minutes de voyage, descendit dans le pelouse de départ, sans difficulté apparente. Après deux heures de repos, les aéronautes, montaient une deuxième fois dans leur nacelle, et exécutaient, dans les environs de Chalais, de nouvelles évolutions. Le brouillard qui s'élevait alors les empêcha sans doute de s'éloigner davantage. D'ailleurs, les aéronautes avaient probablement pour but d'étudier les propriétés de leur appareil, en le soumettant à des épreuves diverses, car on vit successivement l'aérostat évoluer à droite et à gauche, s'arrêter, repartir, et finalement atterrir encore dans la pelouse d'où il s'était élevé. Les quelques personnes qui assistèrent
à ce voyage aérien furent particulièrement frappées
de la précision avec laquelle l'aérostat dirigeable obéissait
à l'action de son gouvernail et se maintenait dans une direction
rectiligne.
En 1885, les aéronautes de Meudon continuèrent de s'occuper d'expériences sur la direction des ballons. Le mardi 25 août, le capitaine Renard, aidé de son frère, exécuta un nouveau voyage, avec son aérostat dirigeable. L'ascension eut lieu par un vent assez vif ; ce qui n'empêcha pas l'aérostat de résister au vent, en accomplissant des maoeuvres qui réussirent complètement. La descente se fit à l'endroit désigné d'avance, dans l'enclos de la ferme de Villacoublay, près du Petit-Bicêtre. Le mardi 22 septembre 1885, à 4 heures, le même aérostat, monté par les capitaines Paul et Charles Renard, et par M. Duté-Poitevin, aéronaute civil attaché à l'établissement de Chalais, s'élevait au-dessus du bois de Meudon, évoluait pendant quelques instants, et changeait de direction, au gré de ses conducteurs ; puis, vers 4 heures et demie, mettant le cap sur le nord, il arrivait rapidement au-dessus de la gare de Meudon. Poursuivant ensuite sa route, le ballon passait au-dessus de la Seine, à la hauteur de l'île de Billancourt, et s'arrêtait au Point-du-jour. À ce moment, les personnes qui descendaient la Seine sur un bateau-hirondelle aperçurent les navigateurs aériens, et les saluèrent de leurs joyeuses acclamations. Depuis les ascensions précédentes, les aéronautes de Meudon avaient réalisé certains progrès. Ils n'avaient plus l'air d'ébranler à grand'peine une machine inerte. Dès que l'hélice était mise en mouvement, l'aérostat fendait les airs, avec précision et rapidité. À plusieurs reprises, les aéronautes jetèrent du lest ; au lieu de tomber verticalement sur le sol, ce lest formait dans l'espace une longue traînée horizontale. C'est qu'au lieu de s'élever purement et simplement, comme les ballons ordinaires, l'aérostat de MM. Renard avançait en même temps dans la direction qu'ils avaient choisie à l'avance. Un petit ballon de quelques décimètres de diamètre, abandonné au moment où l'aérostat dirigeable passait au-dessus de la Seine, fut promptement dépassé par les voyageurs aériens. Arrivé au-dessus du Point-du-jour, l'aérostat vira de bord, et mit le cap sur le bois de Meudon. Il avait, cette fois, le vent pour auxiliaire ; aussi la distance qui sépare le Point-du-jour du champ de Chalais fut-elle franchie en quelques minutes. À 6 heures, l'aérostat arrivait au-dessus du camp. Il descendit, sans secousses et sans incidents, juste au milieu du parc. Le lendemain, l'expérience fut
renouvelée en présence du ministre de la guerre.
Après toutes ces descriptions d'appareils et ces récits, il faut conclure. Au point de vue purement mécanique,
l'appareil produisant la direction des ballons nous paraît acquis,
grâce aux capitaines Renard et Krebs, qui ont fait une heureuse synthèse
des dispositions imaginées et employées avant eux par Giffard,
Dupuy de Lôme et les frères Tissandier. Mais il importe de
poser des réserves. Il importe de dire que, si l'appareil directeur
est trouvé, le moteur est encore à découvrir, et que,
par conséquent, le problème général de la direction
des aérostats n'est point résolu.
Mais dira-t-on, une machine à
vapeur placée dans le voisinage d'un gaz inflammable, c'est un feu
qui flambe près d'un baril de poudre. Nous en convenons ; mais la
chose est possible, car elle a été réalisée
une fois. Personne n'ignore qu'en 1852, Giffard, avec le courage et la
témérité de la jeunesse, osa s'élancer dans
les airs, sur un ballon à gaz hydrogène, qui emportait une
machine à vapeur. Giffard prouva ainsi que la tentative est possible,
puisqu'il sortit sain et sauf de ce périlleux essai. Il a tracé
la route à ceux qui, venant après lui, et trouvant la science
armée de moyens nouveaux et plus puissants, oseront attacher aux
flans d'un réservoir de gaz hydrogène un foyer en activité.
Gallica
|