_________________________ Article paru dans THE MOTORCAR du 13 avril 1901 Traduit de l'anglais ( ![]()
Les usines de la célèbre firme de messieurs Panhard et Levassor ont été jusqu'ici un livre cacheté pour les hommes de la presse britannique. Aussi l'envoyé spécial de THE MOTORCAR n'a-t'il pas perdu une minute pour se rendre directement à Paris à l'invitation qui lui était courtoisement proposée. Il est parti avec des attentes considérables, et avec beaucoup de respect pour une firme dont le nom n'a pas cessé d'être célèbre dans le monde de l'automobile, et il n'a pas été déçu par ce qu'il a vu. En effet il a quitté la firme française de tête, avec sa haute opinion renforçée. Il n'a pas l'intention de décrire ce qu'il a vu dans le détail mais il se propose de donner une idée approximative, de l'impression générale produite par une visite de l'usine. On doit aussi comprendre qu'il est pleinement conscient que les procédés de fabrication qu'il décrit brièvement, sont utilisés dans de nombreuses autres usines d'automobiles. Car s'il est vrai qu'on lui a montré des méthodes originales, elles lui ont été confiées seulement à titre privé. Il ne peut honorablement en parler ici. Les usines sont elles-même presque une ville coupée du monde extérieur, et au tout premier coup d'oeil, le visiteur est impressionné par leur unité, leur ordre et les signes de quelque grande mais invisible main qui contrôle. Passée la porte d'entrée se sont les bureaux de l'administration à droite, la résidence du Commandant krebs à gauche, l'étendue avant tout. Aussi loin que porte le regard, ce sont des routes aux vastes dimensions, bordées par la hauteur des ateliers de chaque côté. Peu de voitures sur la grande route, devenant presque des voiturettes vues ses proportions. Des ouvriers passent d'un atelier à l'autre, mais il n'y a ni précipitation ni confusion, à peine quelques bruits. On pourrait presque imaginer que ce sont là les usines idéales, et on pourrait garder cette impression à l'intérieur des ateliers sans les examiner. Mais une fois à l'intérieur, combien est différente l'impression resentie ! Un tourbillon de machines, un régiment d'hommes. Il y en avait 850 au travail ce jour d'hiver où nous avons visité ces établissements. Presque tout comme dans nos propres ateliers d'automobile chez nous les ouvriers sont adultes, de jeunes garçons en très petit nombre. Aucune femme n'est employée. Nous sommes conduits dans l'atelier des machines, dans lequel 350 tours, machines à polir et à meuler, travaillent aussi vite que peut les entraîner le labyrinthe des arbres propulseurs et des courroies au dessus des têtes. Les hommes alimentent calmement les machines avec des barres d'acier ou bien emportent le travail terminé, pendant que les tas de lames de métal coupées pour être meulées monte toujours de plus en plus haut. Et nous avons nous-même calculé de tête, en nous émerveillant, combien de voitures il aurait fallu pour tout transporter. Nous ne connaissons pas les dimensions exactes de cet atelier, il est de toutes façon le plus grand et le plus impressionnant de toute la série. Nous sommes entrés par le milieu et, en regardant à droite ou à gauche, le bout de l'atelier ne pouvait être clairement distingué à travers la perspective des arbres et des courroies. Une moitié est consacrée à l'usinage des pièces pour les moteurs, l'autre à l'usinage des pièces pour les engrenages et les outils de réparation. Les machines-outil en usage sont toutes modernes, et le meilleur argent peut y être en paix. Elles sont surtout françaises évidemment - faites par MM. Panhard et Levassor eux-même - mais l'Amérique et l'Allemagne sont aussi représentées. Ici une machine scie une pièce de métal de 6 pouces d'épaisseur, et ceci très rapidement, sans aucun embaras. Il y avait un volant de moteur pour quelque grosse voiture, taillé dans un solide bloc d'acier, et non loin de là notre attention a été retenue par une lourde machine à meuler face à une grosse pièce de fonte d'aluminium. Un des procédés les plus fascinants à regarder est la formation progressive du vilebrequin. Quand le vilebrequin arrive à l'atelier, c'est un bloc d'acier massif impossible à déplacer par un seul homme. Il est scié, tourné et usiné. Tous ses angles sont polis et coupés rectilignes, l'un par rapport à l'autre. Un travail très difficile et beau, qui doit être vu pour être apprécié. Un grand soin est apporté pour garantir la précision voulue, et Panhard et Levassor ne prétendent pas tourner un vilebrequin pour une grosse voiture en moins de quatre semaines. Certaines découpes d'engrenages, à la section des engrenages, se font à une grande échelle, comme on peut se l'imaginer sur ceux qui sont courants sur les voitures Panhard. La façon dont le modèle de roue d'engrenage était déplacé sur chacune des machines qui pouvait les produire, fut l'une des nombreuses petites choses que nous avons noté comme illustrant un ordre militaire et un système partout évident dans cette usine modèle. Avant de quitter cet atelier nous avons eu un long regard sur la masse de travail produite. Et quand nous réfléchissons à ce qui serait accompli ce jour là, et ainsi six jours chaque semaine de l'année, nous réalisons, comme nous ne l'avons peut-être jamais fait auparavant, l'importance de l'industrie des moteurs en France. Nous avons ensuite visité la forge où trois puissants marteaux-pilons à vapeur sont alimentés par huit forges principales, desquelles on rapporte le métal rougeoyant au moyen de tenailles élinguées. Ici les cadres des voitures sont soudés ensembles, et le forgeron ajoute dessus tous les autres détails de construction. Les moteurs eux-mêmes, une fois finis, sont envoyés à l'atelier d'essai où ils sont boulonnés sur ce qu'on pourrait appeler un squelette de voiture, ainsi que tous les leviers nécessaires et les graisseurs. Un tambour est ajouté pour recevoir le frein et pour le test du frein dynamométrique. Les essais sont évidemment nombreux et complets. Chaque moteur doit fournir, avec ce test du frein, une puissance plus grande que celle prévue pour lui, et il ne quittera pas cet atelier avant qu'on ne la mesure. Toutes les retouches et tous les réglages devront être effectués à cet endroit. Plus d'une douzaine de moteurs étaient ainsi traités quand nous avons visité cet atelier, du petit 8 CV jusqu'au gros moteur de 24 CV ou plus pour les voitures de course. Par le soin et le fignolage que l'on a pu constater dans cet atelier d'essai, la visite a révélé l'une des raisons pour lesquelles la firme occupe la position dominante qu'elle occupe dans le monde de la fabrication de moteurs. De là nous avons traversé l'avenue - en remarquant au passage un morceau de fonte laissé à l'extérieur (un peu de désordre) - pour aller au magasin où les pièces finies, ou à l'état brut, sont conservées. L'endroit était si calme, si propre et ordonné, et les différentes pièces étaient si bien rangées dans des cases en nid de pigeon, que c'était plus une entrée de musée que celle d'un magasin qui fournit une usine en activité. Les magasiniers aussi, par leurs manières tranquilles et courtoises, mettaient de la couleur à notre fantaisie, et on nous a dit qu'il y avait là une catégorie d'hommes plus élevée, puisqu'ils étaient responsables de pièces et fournitures qui représentaient de nombreux milliers de Livres. Tout autour sont entassées des manivelles par centaines, des carter d'aluminium en grande quantité, des roues en bois par monceaux, assez de radiateurs "Loyal" pour rafraîchir le Parlement lors d'une nuit Écossaise, pièces fondues, soupapes, ressorts, freins, pneus, segments de pistons, un petit peu de tout et beaucoup de tout ce qui compose ce véhicule aux multiples éléments : une automobile. Le doux parfum du bois, le bruit d'une machine à vapeur, le sifflement des rabots des nombreux charpentiers, nous disent que nous approchons de l'atelier où l'on travaille le bois, avant même d'entrer dans le bâtiment. Comme tous les ateliers de cette belle usine, on est d'abord frappé par les dimensions, ensuite par l'ordre et surtout le système militaire, et enfin par le genre et la quantité de travail fourni. Où cela va-t'il ? Question maintes fois posée. Il est difficile pour un anglais, avec ses petites idées casanières sur l'extension de l'industrie des moteurs, de répondre à sa propre question. Dans cet atelier on fabrique des roues en bois avec du bois cultivé en France, et bien proportionné. Nous avons vu le dépôt de bois et l'endroit où les troncs sciés sont en train de sécher. Les rayons sont façonnés avec une machine inventée et fabriquée aux débuts de la Maison. Bien sûr chacune des machines utilisées dans cet atelier a la même origine. Vingt établis de charpentiers sont en activité. Nous avons noté qu'à l'heure de notre visite les travaux en cours portaient sur les roues, le montage de carrosseries et les moules de fonderie. L'atelier de montage est un autre grand atelier. Nous avons eu la curiosité de demander les dimensions réelles, et notre guide est parti chercher les chiffres exacts. Ils donnaient, en anglais, 167 pieds de long sur 155 de large. Dans cet atelier arrivent les cadres, nus et sans ornements. Ici les cornières d'acier sont armées avec du bois, le moteur est hissé par des chaînes suspendues au plafond puis monté à sa place dans le châssis, la boîte de vitesses et le volant tout prêt. Ainsi qu'on peut l'imaginer c'est un atelier très animé, bien sûr, autant que le plus intéressant. C'est ici que l'automobile prend sa forme première et de nombreuses pièces peuvent être accédées commodément ce qui est moins facile quand la carrosserie est montée. Nous avons compté 87 moteurs de puissances différentes sur le sol de cet atelier ; attendant leur tour d'être hissés par les chaînes avant de se placer sur les châssis, auxquels ils sont destinés à donner vie et mouvement. Dans un autre coin se trouvent une rangée de lourdes machines inutilisées, attendant de prendre leur rôle de chaudière. Chacune d'elle est fabriquée sur place. Un des plus vieux ateliers de l'usine est utilisé pour le montage des carrosseries. Il est intéressant à cause de la grande variété de modèles et de carrosseries qui y sont montés. Quand nous avons pénétré dans cet atelier, il y avait 43 châssis ayant leur carrosserie fixée et à peine deux étaient presque semblables. La liste comprend des véhicules tels qu'une 12 CV coupé, pour le Roi des Belges, avec de très gros pneumatiques (120 mm) - évidemment pour tenter d'ignorer l'état des routes belges - ; une voiture de course de 24 CV qui sera peut-être au départ de la course Gordon-Bennett ; un omnibus géant destiné à l'armée et une automobile pour rouler sur rails en Algérie. Toutes les voitures rapides ont l'allumage électrique en même temps que l'habituel tube Panhard, et on nous a informé qu'avant longtemps la plupart des voitures Panhard seront vendues munies des deux systèmes d'allumage. De ce service, les voitures sont envoyées à l'atelier de finition où elles reçoivent leur touche artistique finale, avant d'être expédiées. Ici nous trouvons 14 véhicules à moteur sur le point de quitter les usines, et nous avons été particulièrement attiré par un très beau coupé, avec une finition noir et vert, et une ligne rouge. Son moteur était si savamment caché qu'on aurait pu le prendre pour une voiture électrique, réservée seulement pour les petits trajets. Une mention particulière doit être faite à propos de l'important service où la plupart des machines-outils utilisées dans les ateliers, sont fabriquées. Comme ces outils sont lourds, les machines pour les fabriquer doivent être proportionnellement grandes et elles sont spécialement impressionnantes, en particulier cette machine à meuler géante. Une grue roulante soulève les outils massifs d'un côté de l'atelier à l'autre, nous avons observé de balancement d'une grosse scie à métaux qui venait d'être terminée. Le moteur qui commande toutes les machines à travers l'usine a un volant moteur de 23 pieds 4 pouces et développe 500 CV. Les moteurs dans cette pièce sont astiqués comme sur un navire de guerre. Quand une voiture est complètement terminée, elle est testée pendant trois jours avant d'être autorisée à rejoindre son acquéreur. Pendant cette période probatoire, les voitures restent dans un garage et sont sorties les unes après les autres pour faire un tour dans la campagne. 14 experts-chauffeurs sont employés uniquement dans ce but. Il attendaient leur tour pour se balader quand nous traversions le garage. Deux "chars-à-banc" 12 CV, dont l'un destiné à l'Angleterre ; un omnibus 6 CV pouvant transporter six personnes ; une voiturette 8 CV et une autre de 12 CV ; un phaeton 6 CV et un autre de 12 CV avec un siège araignée de quatre places, au dessin spécial d'un gentleman anglais, très élégamment fini ; un tonneau 6 CV et trois de 8 CV. Nous avons donné la liste complète pour montrer combien grande est la variété des véhicules à moteur qui sortent de ces usines. Examiner des usines si étendues
et si bien équipées comme le sont celles-ci se fait avec
un grand plaisir, mais cela implique aussi le regret que les ingénieurs
britanniques aient été si longs à renfermer leur héritage
en adaptant les lois de leur pays au lieu d'étouffer une industrie
qui aurait procuré du travail à des milliers d'entre eux
et qui continuera ainsi. Cela fait des années que cela aurait déjà
dû être le cas, si les routes d'Angleterre étaient libres
à la circulation des automobiles, comme l'étaient celles
de France il y a dix ans ou plus. On ne peut pas imaginer désespérer
de l'industrie anglaise, loin de là, car il y a des firmes chez
nous qui finalement produisent autant que celles de Panhard et Levassor,
mais il n'y a pas de firme comparable à elle par l'ampleur. Les
industries de chez nous font de gros coups, mais c'est pour l'instant petit
et brave, mais ce sera grand et brave.
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