KREBS - SommaireKREBS - Le dirigeable La FranceKREBS - Le sous-marin Le GymnoteKREBS - Le Service Incendie de la Ville de ParisKREBS - Panhard et LevassorKREBS - Plan du site
10/03/2000
 

SOMMAIRE

Voyage de Krebs aux USA en 1906

Automotive Industries 1905-1915

Le procès Selden gagné en appel - 1911

Comment fut perdu le procès Selden - 1911
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

L'AFFAIRE SELDEN 
Lettres de Krebs à sa femme
lors de son voyage aux États-Unis en 1906

Paquebot "La Provence", le 24 octobre 1906

Ton Louis a fait connaissance complète avec Melle Yvonne Davignon qui est une petite blonde gaie et réjouie. Il faut te dire que dès samedi, Louis et moi, nous avions fait connaissance avec des américains, Mr et Mme Montant, riches américains auxquels m'avait recommandé Mr Cachard de la Maison Coudert notre avocat à New-York dans l'affaire Selden. J'ai trouvé en  Mr et Mme Montant des gens charmants,  Mr une 60aine d'années et Mme une 50aine environ. Ils viennent tous les ans en France où ils passent 4 à 5 mois ; possèdent une voiture automobile de chez nous avec laquelle ils ont déjà fait plus de 25000 kilomètres sans pannes.[...]

New-York, le 30 octobre 1906

Sur les conseils de Mr Montant nous sommes descendus à l'hôtel Manhattan (42° rue) un peu plus haut dans la ville que l'hôtel Waldorf. Il est moins grand mais aussi moins caravansérail. Nos chambres, qui communiquent, sont au 12° étage avec vue sur tout New-York. De nos fenêtres nous voyons à gauche East-River avec les deux grands ponts suspendus ; puis les grands Buildings jusqu'au sud de New-York et à droite l'Hudson. Le matin la vue est admirable comme étendue.

Samedi la journée a été consacrée à notre agence et à voir la Maison Coudert ; ces deux points sont l'un dans le bas de Broadway l'autre près de Central Park à environ 10 kilomètres l'un de l'autre. Mais avec le subway qui a des trains express (c'est un métropoliatin à 4 voies) la distance est franchie en 15 minutes. Les moyens de communication sont vraiment ici merveilleux ; tramways, chemin de fer en-dessus, chemin de fer en-dessous fonctionnent simultanément dans la même avenue à des vitesses vertigineuses mais avec un bruit à vous rendre cent fois sourd.

La circulation des piétons et des voitures est très intense et je trouve que depuis mon voyage de 1895 la différence est beaucoup plus grande que celle éprouvée pendant la même période de temps de 1885 à 1895. Les immenses constructions se sont développées aussi d'une telle façon que l'aspect des rues et surtout des avenues est complètement changé. À l'arrivée on trouve cela atroce ; puis on s'y fait et maintenant ça ne me paraît plus extraordinaire.

Hier et aujourd'hui j'ai été occupé toute la journée par l'affaire Selden qui en est à la période des expertises. Nous avons parmi nos experts Mr Smith que Charles connaît et que nous avions vu à Detroit en 1885. C'est un homme très aimable et parlant français.
 

New-York, le 11 novembre 1906

[...] Hier nous avions eu journée superbe pour notre excursion à West Point. le pays est réellement très beau.[...] 
 

New-York, le 13 novembre 1906

[...] Je suis resté au bureau de 9h à 1h et de 2h à 6h. Louis se porte comme un charme. Il s'est promené hier dans l'après-midi avec Melle Dorigny et une amie américaine. C'est tout-à-fait les moeurs d'ici. La maman Dorigny laisse sortir ainsi sa fille. Ils sont allés tous les trois à la statue de la Liberté et son revenus à 5h.

Pour moi je ne sais encore quand mon affaire finira. Hier j'ai bien posé la question et l'ai développée de manière à ne laisser subsister aucune ambiguité. Mes adversaires sont paraît-il très ennuyés. Je les ai mis maintenant dans une position où ils n'ont rien à gagner pour eux à prolonger l'interrogation à moins de poser des questions oiseuses qui n'avanceront à rien et feront perdre du temps. Il faut m'armer de patience dans cette circonstance.[...] 

Notre hôtel est le type de l'hôtel américain confortable où des familles demeurent. Ce matin j'avais envoyé Louis à la découverte de la famille "Valentine" pour laquelle j'ai des lettres de recommandations de Mr Lemoine. Louis a vu le père qui lui a donné l'adresse de sa femme et de sa fille. Elles demeurent à l'hôtel St Georges. Très bel hôtel dans le genre du nôtre à la 28° rue. Ils n'ont pas d'autre chez soi ! Ils nous ont engagés à dîner un de ces jours (quand ma voix sera revenue) à l'hôtel Waldorf. Ces moeurs sont renversantes. Le fils qui a 22 ans est venu voir Louis ce soir avant dîner et l'a emmené à son cercle. Nous n'avons pas idée en Europe d'installations comme celle-là. Demain il ira encore avec lui à l'usine qui est du côté de Brooklyn.


Les 100 ANS de la revue AUTOMOTIVE INDUSTRIES

http://www.ai-online.com/history/
Traduit de l'américain
LE BREVET SELDEN 1905-1915

Nous avons consacré une place considérable au brevet Selden, l'événement le plus controversé qui divisait la jeune industrie automobile américaine.

Henry R. Selden Sr., un juriste en droit des brevets, en mai 1879 dépose un brevet pour une automobile, qui lui est accordé en novembre 1895 (qui coincidait avec le premier article du journal Horseless Age).

À la fin de 1899, il vendit l'exclusivité des droits à la Columbia and Electric Vehicle Company dans le New Jersey. Du coup la Electric Vehicle Company de Hartford dans le Connecticut fut assignée en raison du fait qu'elle octroyait des sous-licences à différents fabricants regroupés au sein de l'Association of Licensed Automobile Manufacturers (ALAM). Les royalties étaient de 11,4% pour les fabricants américains et de 11,2% pour les importateurs. Pendant 4 ans ce système rapporta 1,5 millions de $, principalement de Cadillac, Pope, Oldsmobile, Winton, Franklin, Packard et Thomas.

Ford, Panhard et Renault refusèrent de rejoindre l'ALAM et de payer les royalties, arguant d'une loi dont les effets avaient cessé depuis 10 ans. Lors de la procédure Ford obligea Selden à construire un exemplaire de sa voiture pour prouver qu'elle pouvait fonctionner. Ceci devint la célèbre "Exhibit 89" qui, comme nous avons pu le constater rapidement, fonctionnait piteusement. Il lui fallut plus de 12 minutes d'incessants tours de manivelle pour démarrer, elle ne marcha jamais plus de 7 minutes d'affilée, et elle chauffa tellement qu'il gicla un geyser de vapeur du carter "à 12 pieds au moins de la machine". Nous nous sommes bien amusés de la "Exhibit 89" et en apprenant la colère et la réprimande écrite de l'ALAM.

Ford construisit aussi un exemplaire du moteur Lenoir de 1861, et une voiture comme démonstration en vue de réfuter l'argument de Selden qui affirmait qu'un moteur sans compression ne pouvait pas être utilisable en raison de sa faible compression et de ses grandes dimensions. Le moteur développait 3CV, tournait à 200 tr/mn, et fut capable de parcourir 8 miles en 59 minutes au milieu de la forte circulation de New York.

Charles Dureya, l'inventeur d'automobile bien connu, nous écrivit "- Il se peut que M. Selden soit titulaire d'un brevet concernant la chose qu'il démontre et revendique ; mais, qu'il soit qualifié pour interpréter son brevet de manière à couvrir un ensemble de dispositions qui ne contiennent rien qui ait été inventé par lui, n'est pas crédible aux yeux de ceux qui connaissent les faits."

En septembre 1909, le juge Hough de la US Circuit court établit que le brevet couvrait l'automobile moderne, bien qu'aucun décret ne le concerne. Ceci commença une guerre de publicité entre l'ALAM et la Ford Motor Company. L'ALAM proclamait qu'on voulait considérer l'action contre les utilisateurs non licenciés comme une tentative évidente d'effrayer les acheteurs de voiture. Ford répondit de la même manière dans une pleine page de publicité annonçant l'émission de 12 millions de $ d'actions protégeant ainsi les acheteurs de Ford. Il fit aussi appel des conclusions du juge Hough.

En 1911, La court d'appel de l'US Circuit Court publia un rapport de 45 pages qui confirmait la validité du brevet Selden mais qui déclarait que les défendeurs ne le violaient pas. Nous avons publié les attendus de la court dans un article de 7 pages, concluant que le brevet Selden pouvait s'appliquer aux automobiles modernes mais dont le principe n'est pas celui du cycle Otto [à 4 temps].


LE PROCÈS SELDEN GAGNÉ EN APPEL
Une victoire de l'industrie française aux États-Unis
Journal L'AUTO 1911

Tous nos lecteurs connaissent l'origine du fameux procès Selden, qui vient de se terminer en appel par la victoire complète de l'équité et du bon sens, malgré une coalition formidable d'intérêts, qui s'étaient groupés autour de Selden pour soutenir les prétentions de cet avocat de brevets, plus compétent en procédure qu'en construction automobile.

Il faut savoir gré à la Société Panhard et Levassor, qui, la première s'est trouvée attaquée dès novembre 1903, d'avoir su résister à ce bluff américain en entreprenant un procès presque sans exemple dans les annales judiciaires, puisqu'il a donné lieu à des expertises et à des dépositions de témoins (formant une bibliothèque d'une quarantaine de gros volumes imprimés) et à des plaidoieries nombreuses par les avocats les plus réputés des États-Unis.

Selden, avec une habileté d'avocat procédurier, avait su traîner en longueur la spécification de son brevet depuis 1879 jusqu'en 1895, soit 16 ans. Il put ainsi modifier peu à peu un texte primitif, qui ne contenait que la très vague description du principe même d'une voiture automobile irréalisable d'après cette description et introduire dans des textes amendés, des modifications qui semblaient donner un peu plus de consistance à ses idées nébuleuses. Ensuite, il groupa autour de lui la majorité des constructeurs américains qui cherchèrent à utiliser ce brevet, pour monopoliser la fabrication automobile aux États-Unis et faire payer des redevances onéreuses à tout constructeur dissident et notamment à toutes les maisons étrangères.

La première maison en butte aux attaques du groupe Selden fut la Société des Anciens Établissements Panhard et Levassor, qui, aux États-Unis, comme partout ailleurs, avait été une des premières à importer les châssis de sa fabrication. Le trust Selden, après avoir saisi une voiture Panhard, fit des offres à la Société Panhard et Levassor pour la décider à entrer dans la combinaison à des conditions très avantageuses et à s'opposer ensuite à l'importation de marques concurrentes, même françaises. Mais la Société Panhard et Levassor se refusa à examiner les propositions qui lui étaient faites et préféra combattre la coalition des constructeurs américains, par tous les moyens sans reculer devant les frais énormes d'un pareil procès.

Elle fut d'ailleurs puissamment aidée dans cette lutte par ses principaux confrères français qu'elle groupa autour d'elle, montrant ainsi une fois de plus que la concurrence n'exclut pas l'entente la plus complète pour la défense d'intérêts communs. C'est ainsi que tous les grands noms de l'industrie automobile française se trouvèrent réunis dans ce groupement ; nous les citons par ordre alphabétique :

        CHARRON Ltd.
        CLÉMENT (Automobiles Bayard).
        DARRACQ et Cie Ltd.
        DELAUNAY-BELLEVILLE (Société des Automobiles).
        DE DIETRICH et Cie (Société Lorraine des Anciens Établissements).
        HOTCHKISS et Cie (Société Anonyme des Anciens Établissements).
        MORS (Société d'Automobiles).
        PANHARD et LEVASSOR (Société Anonyme des Anciens Établissements).
        PEUGEOT (Société Anonyme des Automobiles).
        RENAULT.

Le procès engagé devant un juge unique de première instance, le juge Hough, fut plaidé pour la Société Panhard et Levassor par M. Coudert de New-York et son associé M. Murray, deux des avocats les plus connus des États-Unis. Malgré tout leur talent, le procès fut complètement perdu devant le juge unique qui rendit une sentence stupéfiante consacrant la validité du brevet Selden, bien qu'il eut été démontré qu'une voiture construite, d'après ce brevet, n'avait jamais pu marcher et qu'il avait fallu lui faire subir des modifications importantes pour lui permettre d'avancer par petits bonds de quelques centaines de mètres coupés par de longs arrêts.

Cette décision incompréhensible faillit décourager les constructeurs français et assez nombreux furent les conseils de transaction émis à ce moment.  Mais, malgré la difficulté encore plus grande d'arriver à faire réformer un premier jugement, la Société Panhard et Levassor suivie par tous ceux qui ne voulaient pas renoncer à la lutte, porta le procès en appel devant les trois juges composant la Cour et un câble d'hier vient de lui apprendre que cette fois la victoire est complète et que le procès est gagné sur toute la ligne.

Les détails du jugement nous manquent encore, mais nous les ferons connaître dès que le courrier nous les apportera. En attendant, nous ne pouvons que féliciter ceux qui ont soutenu ce bon combat pour la liberté de l'industrie française dressée en face du formidable trust Selden d'une puissance illimitée par sa production et ses ressources financières et nous sommes heureux de constater qu'il y a aussi des "juges à New-York".

Archives Panhard

COMMENT FUT PERDU LE PROCÈS SELDEN
 La France Automobile et Aérienne
N°7 du 18 février 1911

Le record de la procédure en matière automobile semble être établi - et nous le croyons difficile à battre - par la fameuse affaire des brevets Selden, qui de l'autre côté de l'Atlantique, sur "le trottoir d'en face la Normandie", encombra les rôles des cours de justice pendant plusieurs années ; mit sur les dents une ruée de plaideurs ; fournit à des business-men l'occasion de constituer une Société par actions pour le partage des bénéfices d'un jugement anticipativement escompté ; amena les plus timorés à se soumettre bénévolement d'avance aux prétentions dudit syndicat, tandis que d'autres par contre, menant jusqu'au bout le bon combat, brûlant jusqu'aux dernières cartouches, finissaient par faire triompher l'équité, libérant ainsi l'industrie automobile du monde entier d'un malaise néfaste qui faisait peser sur son essor l'incertitude des décisions à intervenir.

C'est aujourd'hui chose faite. Ainsi que nous l'avons déjà fait connaître, la Cour suprême des États-Unis, présidée par le juge Noyes, a, par un jugement en date du 11 janvier 1911, infirmé sans appel celui du "Circuit Court" rendu par le juge Hough, le 15 septembre 1909, lequel faisait tomber sous la licence Selden toute voiture automobile utilisant le moteur à explosion.

Il est curieux de connaître les raisons qui ont motivé cette annulation du jugement primitif ; d'autant plus qu'elles permettront de constater que ce fut vraiment justice. Et à cet effet, nous allons emprunter à notre réputé confrère américain "Motor Age" la remarquable documentation que son numéro du 12 janvier dernier nous apporte sur ce sujet passionnant.

Eh bien ! sachez tout d'abord que si George B. Selden se trouve débouté, c'est que - contrairement à la plupart des inventeurs - il fut trop méticuleux dans la rédaction de son brevet ; c'est un détail qui le perdit : on va voir pourquoi.

En 1879, date à laquelle l'ingénieux américain déposa sa demande, - dont l'objet n'était pas l'invention du moteur, mais son application à la "self-propulsion" des véhicules - l'embarras du choix parmi ceux des moteurs à explosion connus était infiniment moindre que de nos jours ; il n'en existait, en effet, que deux : le moteur Brayton, qui faisait déjà pas mal de bruit - au propre comme au figuré - dans le Landernau yankee, et le moteur Otto, d'importation européenne et d'introduction plus timide. En bon patriote, Selden n'hésita pas : il adopta le Brayton pour prototype et c'est le principe de celui-ci qu'il développa dans un de ses brevets.  Or, ledit motur était du cycle à deux temps ; si bien que, faute d'avoir passé sous silence les détails de sa production d'énergie, son invention ne put couvrir les voitures actionnées par des moteurs à quatre temps : c'est-à-dire le 99 centièmes de la construction mondiale.

Il ne reste donc plus à Selden et à son syndicat qu'un bien piètre droit de revendication contre les voitures ayant un moteur à deux temps, et faut-il encore que celui-ci ne se rattache pas qu'au susnommé Brayton, puisque celui-ci est tombé en 1889 dans le domaine public, après avoir connu, dès 1876, l'insuccès dans une tentative d'autobus (déjà !) à Pittsburg (États-Unis).

*
*  *
Voici à titre documentaire, un résumé des trois inventions ayant servi de base à l'argumentation du procès :

Revendication Otto. - Moteur à gaz dans lequel une course du piston aspire dans le cylindre une charge de mixture gazeuse et d'air, cette charge se comprimant à la course contraire suivante et étant alors enflammée ; ensuite l'explosion chassant le piston qui, à son retour par suite de la vitesse acquise, expulse les produits de la combustion. Ces résultats s'obtiennent par les effets combinés du piston, de l'arbre moteur, d'un arbre de renvoi de clapets d'admission et d'échappement, de cames et de leviers actionnant des soupapes avec une came et une glissière pour régler l'arrivée de gaz.

Renvendication Brayton. - Les appareils suivants combinés : une pompe de compression envoyant air et gaz, mélangés ou séparés, dans un seul ou deux réservoirs distincts ; et un cylindre avec son piston moteur et des soupapes commandées mécaniquement pour admettre et échapper, ainsi qu'une perce dans sa paroi par où une torche de feu enflammait les charges successives de mélange gazeux, venant du réservoir, à leur arrivée dans le cylindre ...

Revendication Selden. - La combinaison, avec une locomotive routière munie d'un mécanisme approprié comportant une roue motrice et une direction, d'un moteur à compression de gaz hydrocarburé, à un ou plusieurs cylindres, avec réservoir d'essence, arbre moteur tournant plus vite que la roue motrice ; un embrayage immédiat ou tout autre dispositif de disjonction ; une carrosserie adaptée aux usages des personnes ou des marchandises, et une attache flexible reliant celle-ci au mécanisme.

Une locomotive sur route à roue motrice, commandée par un moteur à hydrocarbure à un ou plusieurs cylindres et pistons disposés pour opérer successivement la rotation de l'arbre moteur ; un réservoir à essence et les organes appropriés pour transmettre la puissance de l'arbre moteur à l'essieu directeur, et un embrayage ou tout dispostif de disjonction.

*
*  *

Quel dommage (pour Selden s'entend) qu'il ait fait choix, pour concevoir l'automobile présentée par lui, du moteur qui n'était pas le bon. Si au contraire il avait adopté le cycle Otto, il gagnait son procès haut la main !

La première fois que le public eut connaissance du brevet Selden, ce fut le 5 novembre 1895 seulement, c'est-à-dire que sa publication fut faite 17 ans après son dépôt initial. À cette époque, l'automobile commençait à se développern notamment dans la vieille Europe, où la France se montrait déjà prépondérante. Le brevet représente un moteur du cycle Brayton monté sur l'essieu avant et actionnant les roues directrices d'un avant-train pouvant être adapté aux lieu et place de celui d'une voiture à traction hippique.

(Là-dessus ouvrons une parenthèse et rendons à Selden ce qui appartient à Selden. S'il est reconnu que le choix du moteur à deux temps l'a dépossédé de ses revendications, il résulte que ce même brevet établit d'une façon indiscutable son droit de priorité en ce qui concerne les avant-trains automobiles, qui depuis ont connu tant de faveur dans l'industrie, et le place nettement en tête avant même nos compatriotes Prétol et Grancey et Gévin, que l'on avait considérés jusqu'ici comme précurseurs. Ceci sans diminuer en rien le mérite de ceux-ci qui certainement ignoraient l'invention américaine puisqu'elle n'avait pas été publiée.)

Dans le moteur en question, de l'air pompé dans un récipient arrivait par un clapet dans le cylindre, en même temps qu'une certaine quantité de gaz. Comme on n'avait pas encore songé à utiliser la puissance explosive de ce mélange, on se contentait avec ce genre d'arrivée, de le faire brûler et d'utiliser à la propulsion du piston cette insignifiante détente, qui faisait marcher le moteur à peu près à la façon d'une machine à vapeur ; aussi, lorsque la pompe d'alimentation et les organes mécaniques avaient absorbé la puissance nécessaire à leur fonctionnement, ne restait-il pas grand'chose pour le rendement à la jante ! Et le pauvre moteur Brayton, avec son régime maximum de 200 tours à la minute, rapporta-t-il à la Compagnie des autobus de Pittsburg plus de déboires que de contraventions pour excès de vitesse ...

Il est établi que le moteur Brayton, inventé en 1872, était non seulement connu de Selden lorsqu'il déposa son brevet, mais que celui-ci avait envoyé un mécanicien pour l'étudier à l'Exposition de Philadelphie, en 1876, où il était exposé. Et d'autre part, on reproche à Selden d'avoir déclaré être le propre auteur de son moteur depuis longtemps et au su de nombreuses personnes, alors que les recherches prouvèrent qu'il n'en était rien et que seul Brayton avait le mérite des principes à tort revendiqués.

Sitôt son brevet déposé, Selden se mit à l'oeuvre. Il commença par un trois cylindres, (ce qui n'était pas si mal), agrémenté (?) de ses trois pompes (ce qui n'était pas si bien). Il ne le termina jamais, et peut-être eut-il raison.

Il se mit alors à construire une "mono", ce qu'il acheva presque entièrement ; ceci se passait vers 1878. Puis il laissa son ouvrage sur le chantier pour quelques temps : 28 ans pour être précis ; car ce n'est qu'en 1906 que stimulé par les espoirs que faisaient sourdre en lui ses prétentions et les encouragements des gens d'affaires intéressés à ycelles, il termina son véhicule, qui, Venu trop tard dans un siècle trop vieux ne pouvait pas décemment prétendre à un succès d'esthétique ...

Au moteur primitif de Brayton, Selden avait apporté d'intelligentes modifications, par lesquelles il obtint une augmentation de 40 pour cent dans le rendement. Il allégea le bâti du vilebrequin en le remplaçant par un carter, changea le régime d'alimentation, etc. ; ces additions lui confèrent un certain mérite, que personne ne cherche à lui contester du reste.

Mais parmi ses revendications, l'adaptation d'un moteur à la traction d'un véhicule n'était pas brevetable : des steam-cars avaient fonctionné en Angleterre dès 1830 ; l'embrayage appartenait depuis longtemps au domaine public ; la transmission de mouvement du moteur aux roues était également ancienne. Somme toute, le brevet Selden était un heureux pot-pourri de vieilles recettes de cuisine industrielle, un art ingénieux d'accommoder des restes de la mécanique. Aussi restait-il trop peu, de l'avis des juges de Cour suprême de New-York, pour qu'ils ne reconnussent, en leur âme et conscience, les prétentions du plaignant mal fondées.
 

Voici donc, une bonne fois, ce point de droit établi.

Il convient d'en féliciter, pour leur inlassable opiniâtreté, les défendeurs de cette "cause célèbre" de l'automobile : nous avons nommé Henry Ford, de la Ford Motor Company ; C-A Duerr et Cie ; Panhard et Levassor ; O.-J. Gude et Cie.

Grâce à leur persévérance, c'en est fini de ce cauchemar, qui durait depuis 1903.

Patience et longueur de temps ...

Albert d'Herdt

Archives Panhard