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Lettre manuscrite d’Arthur-Constantin
KREBS
Retranscrite d'après son brouillon
Les inter-titres sont de la Rédaction
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Château de Marsanne (Drôme) Juin 1924
Mon cher cousin, vous me demandez,
dans votre aimable lettre du 25 mai, de vous expliquer comment, simple
officier d’infanterie, j’ai été amené à remplir
les rôles et effectuer des travaux peu en rapport avec la carrière
où j’étais entré.
Enfance Cette aptitude particulière ne fut pas sans nuire, un peu, à mes études classiques, car mon esprit, plus préoccupé de ce qu’il avait appris par lui-même, cherchait à les réaliser pratiquement. Ceci me conduisit naturellement, à dessiner avec précision ce qui, par la suite, me rendit les plus grands services. Un croquis bien fait traduit mieux, pour les autres, la pensée de l’auteur, que toutes les descriptions ou explications qui peuvent être données quand il s’agit d’une construction ou d’une machine quelconque. Cette habitude à traduire ma pensée par un dessin avait développé en moi la faculté de bien voir dans l'espace, et je me souviens qu'en Math-spé, mon professeur m’envoyait toujours au tableau pour l’exécution des épures de descriptive dans lesquelles il s’embrouillait souvent. La guerre de 1870 L'école militaire
de St Cyr Le ballon dirigeable
LA FRANCE Le Colonel Laussedat, qui présidait cette commission, m’y fit nommer par le ministre, et je fus détaché à la Direction du Génie, de laquelle dépendaient les Ateliers de Chalais-Meudon. Mes vœux les plus chers étaient ainsi comblés, mais pour donner confiance et obtenir des crédits, il fallait réussir et ne promettre que ce que l’on était sûr de pouvoir réaliser. Renard avait déjà construit un ballon captif, seule la partie mécanique permettant d’effectuer des ascensions, n’était qu’à l’état embryonnaire. Je me chargeai de la réaliser, et grâce à l’Exposition de 1878, je réunis rapidement tous les éléments nécessaires à l’établissement d’un treuil à vapeur qui fonctionna à notre plus grande satisfaction dès le mois d’août. Les expériences et les démonstrations se succédèrent alors brillamment en toute sécurité et nous permirent d’y intéresser des membres de la Commission du budget, car il fallait obtenir des crédits pour pouvoir continuer les études et réaliser les projets faisant l’objet de la Commission des Communications Aériennes. Gambetta, puis Clemenceau, vinrent successivement assister aux expériences et promirent leur appuis. Deux buts étaient à poursuivre : 1/ Étude et construction d’un matériel de ballon captif transportable en campagne ; 2/ Étude et construction d’un ballon dirigeable. Le premier me parut facile à réaliser. Il se réduisit à la construction d’un treuil à vapeur sur roues pour les manœuvres de ballons, et à celle de deux autres voitures pour le transport des agrès et des accessoires de la machine à vapeur (eau et charbon), puis d’un appareil, également sur roues, pour la production du gaz hydrogène. Renard s’occupa de cette dernière question et je pris la première. Pour mener à bien et rapidement ces travaux, nous fûmes conduits à établir un laboratoire et à installer un atelier mécanique pourvus l’un et l’autre des outils et outillages nécessaires. Nous avions comme ouvriers des Sapeurs du Génie provenant du Régiment de Versailles. L’année suivante (juin 1879), un premier parc était réalisé et permit de faire des expériences de transport de ballons et d’ascensions sur le plateau qui domine Meudon au sud. À la suite de ces essais, le ministre décida que ce parc assisterait aux Grandes Manœuvres qui devaient se dérouler aux environs de Silliers-le-Guillaume (22 et 23 septembre 1880). Pendant ces manœuvres, les renseignements donnés par le ballon sur la marche des opérations, contrôlé par un officier d’État-major qui avait été adjoint au parc, furent si probants que la construction de 4 parcs semblables fut décidée et nous fut confiée. Les crédits alloués nous permirent d’agrandir les ateliers, de perfectionner l’outillage et d’établir une fabrication qui a servi de modèle aux 25 parcs de ballons captifs qui se trouvaient dans les différents Corps d’Armée et places fortes en 1914. Entre temps, se poursuivaient les études et expériences pour la construction du ballon dirigeable. Sa réalisation était pour nous le comble de nos aspirations et faisait l’objet de nos plus profondes méditations. La forme du ballon, la disposition de la nacelle et la détermination de l’espèce d’énergie à employer pour constituer la force motrice nécessaire à sa propulsion, firent l'objet d'un long examen et de discussions approfondies. À cette époque, l’industrie électrique se développait. Le Congrès International de l’Électricité de 1881 venait de déterminer les unités de mesure nécessaires à l’étude et aux applications de cette branche nouvelle d’énergie. Les moteurs à essence, si répandus maintenant, n’étaient pas encore connus, nous décidâmes l’emploi de l’électricité pour constituer la force motrice du ballon. Renard se consacra à la recherche de la source électrique capable de développer dans un poids très faible l’énergie nécessaire au fonctionnement pendant 2 heures environ, d’un moteur de 10 CV. Moi, je me chargeai de l’établissement du moteur et de tous les organes mécaniques faisant manœuvrer l’hélice. C’est ainsi que je fus conduit à étudier l’électricité au moment où cette science se développait industriellement. La première ascension du ballon " La France ", qui eut lieu le 9 août 1884, et dans laquelle un aérostat décrivit pour la première fois par ses propres moyens une courbe fermée en revenant à son point de départ, fut le couronnement de nos travaux. On ne pouvait alors prétendre obtenir une durée de fonctionnement dépassant 2 h à cause du poids des moteurs. Ce ne fut donc qu’une expérience intéressante mais sans lendemain. En effet, 15 ans devaient s’écouler avant que, grâce aux perfectionnements apportés par l’automobile aux moteurs à essence, on put doter un ballon semblable à " La France " d’un moteur assez léger pour lui permettre de tenir l’air pendant 10 heures. |
![]() ![]() Le Service
Incendie de la Ville de Paris Il serait trop long de m’étendre sur les travaux réalisés pendant les 12 années (1885-1897) que j’ai passées dans ce corps. Après plusieurs voyages d’études aux États-Unis d’Amérique et en Europe, je fus conduit à faire des propositions : mais cette fois, la tâche n’était plus la même. Les propositions étaient discutées dans des commissions et, avant d’arriver à l’exécution, il fallait les faire triompher. Je réussit à les faire accepter et le résultat fut de transformer complètement l’organisation du Service Incendie ainsi que son matériel. ![]() Le sous-marin GYMNOTE J’acceptai l’offre avec plaisir bien que les conditions de construction d’une machine électrique de 50 CV à 200 tours présentât de sérieuses difficultés. Il y avait, en réalité, à réaliser des dispositions tout à fait nouvelles pour arriver à disposer, dans un espace très restreint : machine, accumulateurs et appareils de manœuvres. Sur la demande du Ministre de la Marine, je fus autorisé par le Ministre de la Guerre à prêter mon concours à la Marine tout en conservant mes fonctions au Régiment des Sapeurs-Pompiers. Une première expérience, consistant à propulser un canot de la Marine au moyen d’une dynamo et d’accumulateurs, dut d’abord être préparée pour convaincre le Ministre de la Marine de la possibilité du fonctionnement. Cette première expérience (1887) eut lieu au Havre et réussit pleinement. Les travaux pour le sous-marin purent alors être entrepris. Les années 87 et 88 furent employées à leur exécution. Le montage des machines, essayées préalablement au Havre où elles donnèrent entière satisfaction, eut lieu à Toulon sous la direction de M. Romazzotti, ingénieur de la Marine chargé de la construction du sous-marin " Le Gymnote ". En décembre 1888, je fus envoyé à Toulon pour assister aux essais. L’année 1889, fut employée à doter le sous-marin de dispositions particulières pour améliorer la vision, et d‘un gyroscope électrique dont je fournit les plans, pour remplacer la boussole qui se trouve indifférente quand elle est à l’intérieur d’une coque en fer. En décembre 1889 j’assistai de nouveaux à différents essais, tout à fait concluants, à la suite desquels on mit en chantier un navire plus grand, étudié et construit directement par les Constructions Navales. C’est pendant cette période que j’étudiai un moteur électrique portatif pour actionner les perceuses employées sur les navires en construction à percer les trous dans les tôles qui doivent être ensuite réunies par des rivets. De même, des moteurs électriques actionnant les ventilateurs faisant circuler l’air dans toutes les parties des navires etc. Les automobiles
Panhard et Levassor Au début de 1897, je montrai ma voiture terminée et fonctionnant à M. Levassor. Il en fut vivement frappé et me demanda de lui permettre d’en mettre plusieurs en construction dans ses ateliers et de bien vouloir en suivre la fabrication. Deux mois plus tard, M. Levassor mourait subitement. Son associé, M. Panhard, transforma son association en Société Anonyme et me demanda d’en prendre la direction. L’industrie automobile était à ses débuts, son avenir n’était pas douteux et la Maison Panhard & Levassor tenait la tête. Encouragé par la réussite de mes travaux antérieurs et mes goûts personnels, je n’hésitai pas à accepter et à abandonner la carrière militaire pour entrer dans l’industrie. Les débuts ne furent pas sans difficulté. Il fallut d’abord acquérir la sympathie d’un personnel technique très fermé et jaloux de son expérience. Quelques perfectionnements que j’introduisais de suite dans certains organes mécaniques et l’année suivante le succès des 4 voitures de la Maison dans la course " Paris-Amsterdam " (les voitures arrivant premières à toutes les étapes), me gagnèrent la confiance du personnel. En 1898, je pris auprès de moi, pour me seconder, mon beau-frère M. Charles de Fréminville, ingénieur des Arts et Manufactures, qui s’occupa plus spécialement de la partie administrative des ateliers, de l’organisation du travail, du choix et traitement des métaux employés dans la fabrication, etc. Pendant mes 18 années de Direction, je n’ai eu qu’à me louer du concours dévoué de tous mes collaborateurs, que j’ai toujours trouvés disposés à me seconder pour mener à bien les modifications ou dispositions nouvelles introduites dans les organes mécaniques des voitures. Il est inutile de les rappeler ici en détail. Celles que je signale volontiers parce qu’elles m’ont procuré de grandes satisfactions personnelles sont :
![]() La retraite L’année précédente M. de Fréminville devait quitter la Maison Panhard & Levassor pour entrer au Creusot. |