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Lettre manuscrite d’Arthur-Constantin KREBS
Retranscrite d'après son brouillon

SOMMAIRE
Les inter-titres sont de la Rédaction

EnfanceLe Service Incendie de la Ville de Paris
La guerre de 1870Le sous-marin GYMNOTE
L'école militaire de St CyrLes automobiles Panhard et Levassor
Le ballon dirigeable LA FRANCELa retraite
 

À Monsieur le Général de Montluisant
Château de Marsanne (Drôme)
Juin 1924
  Mon cher cousin, vous me demandez, dans votre aimable lettre du 25 mai, de vous expliquer comment, simple officier d’infanterie, j’ai été amené à remplir les rôles et effectuer des travaux peu en rapport avec la carrière où j’étais entré.

EnfanceHaut de page
Ceci m’oblige à faire remonter mes souvenirs et à me rappeler que dès l’âge où je commençais à apprécier les jouets mécaniques, ma plus grande distraction consistait à réparer et mettre en état tous ceux qui me tombaient entre les mains. Plus tard mes lectures portaient toujours sur des livres décrivant des mécaniques, si bien qu’à 11 ans, la Physique de Ganot m’étant tombée sous la main, je l’étudiai avec le plus grand intérêt, m’initiant à tous les mystères de la machine à vapeur et de ses applications.

Cette aptitude particulière ne fut pas sans nuire, un peu, à mes études classiques, car mon esprit, plus préoccupé de ce qu’il avait appris par lui-même, cherchait à les réaliser pratiquement.

Ceci me conduisit naturellement, à dessiner avec précision ce qui, par la suite, me rendit les plus grands services. Un croquis bien fait traduit mieux, pour les autres, la pensée de l’auteur, que toutes les descriptions ou explications qui peuvent être données quand il s’agit d’une construction ou d’une machine quelconque.

Cette habitude à traduire ma pensée par un dessin avait développé en moi la faculté de bien voir dans l'espace, et je me souviens qu'en Math-spé, mon professeur m’envoyait toujours au tableau pour l’exécution des épures de descriptive dans lesquelles il s’embrouillait souvent.

La guerre de 1870Haut de page
En 1870, je me présentais aux examens de Polytechnique, et à ceux de St-Cyr. Mais la guerre survenue avant que les examens oraux d’admissibilité pour l’X furent passés à Besançon, où je terminais mes études, je ne pus les subir et suivis le sort des admissibles à St-Cyr.

L'école militaire de St CyrHaut de page
Après la guerre et le temps passé à St-Cyr, je vins en garnison à Brest. Comme officier, l’arsenal m’était ouvert. J’en profitais largement pour approfondir mes connaissances en mécanique et continuer mes études techniques. Mon futur beau-père, camarade d’enfance de mon père, m’avait donné des ouvrages sur les Machines à vapeur marines et la construction des navires qu’il professait à l’École du Génie Maritime. J’en fit mon profit et plus tard, en garnison à Nantes, en 1875, je rédigeai les plans d’un navire qui fut construit par un industriel avec lequel j’avais fait connaissance.

Gravure d'Arthur Krebs en 1884

Le ballon dirigeable LA FRANCEHaut de page
À la fin de 1876, mon bataillon vint à Paris. Mis en rapport par un ami commun, avec le Capitaine Renard, j’entrai en relation avec lui et il me mit au courant des travaux qu’il avait entrepris à la Commission des Communications Aériennes et me demanda ma collaboration.

Le Colonel Laussedat, qui présidait cette commission, m’y fit nommer par le ministre, et je fus détaché à la Direction du Génie, de laquelle dépendaient les Ateliers de Chalais-Meudon. Mes vœux les plus chers étaient ainsi comblés, mais pour donner confiance et obtenir des crédits, il fallait réussir et ne promettre que ce que l’on était sûr de pouvoir réaliser. Renard avait déjà construit un ballon captif, seule la partie mécanique permettant d’effectuer des ascensions, n’était qu’à l’état embryonnaire. Je me chargeai de la réaliser, et grâce à l’Exposition de 1878, je réunis rapidement tous les éléments nécessaires à l’établissement d’un treuil à vapeur qui fonctionna à notre plus grande satisfaction dès le mois d’août.

Les expériences et les démonstrations se succédèrent alors brillamment en toute sécurité et nous permirent d’y intéresser des membres de la Commission du budget, car il fallait obtenir des crédits pour pouvoir continuer les études et réaliser les projets faisant l’objet de la Commission des Communications Aériennes.

Gambetta, puis Clemenceau, vinrent successivement assister aux expériences et promirent leur appuis.

Deux buts étaient à poursuivre :

1/ Étude et construction d’un matériel de ballon captif transportable en campagne ;

2/ Étude et construction d’un ballon dirigeable.

La voiture treuil Krebs : Manuel 1916

Le premier me parut facile à réaliser. Il se réduisit à la construction d’un treuil à vapeur sur roues pour les manœuvres de ballons, et à celle de deux autres voitures pour le transport des agrès et des accessoires de la machine à vapeur (eau et charbon), puis d’un appareil, également sur roues, pour la production du gaz hydrogène. Renard s’occupa de cette dernière question et je pris la première.

Pour mener à bien et rapidement ces travaux, nous fûmes conduits à établir un laboratoire et à installer un atelier mécanique pourvus l’un et l’autre des outils et outillages nécessaires. Nous avions comme ouvriers des Sapeurs du Génie provenant du Régiment de Versailles.

L’année suivante (juin 1879), un premier parc était réalisé et permit de faire des expériences de transport de ballons et d’ascensions sur le plateau qui domine Meudon au sud. À la suite de ces essais, le ministre décida que ce parc assisterait aux Grandes Manœuvres qui devaient se dérouler aux environs de Silliers-le-Guillaume (22 et 23 septembre 1880). Pendant ces manœuvres, les renseignements donnés par le ballon sur la marche des opérations, contrôlé par un officier d’État-major qui avait été adjoint au parc, furent si probants que la construction de 4 parcs semblables fut décidée et nous fut confiée.

Les crédits alloués nous permirent d’agrandir les ateliers, de perfectionner l’outillage et d’établir une fabrication qui a servi de modèle aux 25 parcs de ballons captifs qui se trouvaient dans les différents Corps d’Armée et places fortes en 1914.

Cahiers de Krebs : Construction du ballon dirigeable

Entre temps, se poursuivaient les études et expériences pour la construction du ballon dirigeable. Sa réalisation était pour nous le comble de nos aspirations et faisait l’objet de nos plus profondes méditations. La forme du ballon, la disposition de la nacelle et la détermination de l’espèce d’énergie à employer pour constituer la force motrice nécessaire à sa propulsion, firent l'objet d'un long examen et de discussions approfondies.

Le ballon dirigeable LA FRANCE : plans, croquis, photos

À cette époque, l’industrie électrique se développait. Le Congrès International de l’Électricité de 1881 venait de déterminer les unités de mesure nécessaires à l’étude et aux applications de cette branche nouvelle d’énergie. Les moteurs à essence, si répandus maintenant, n’étaient pas encore connus, nous décidâmes l’emploi de l’électricité pour constituer la force motrice du ballon.

Renard se consacra à la recherche de la source électrique capable de développer dans un poids très faible l’énergie nécessaire au fonctionnement pendant 2 heures environ, d’un moteur de 10 CV. Moi, je me chargeai de l’établissement du moteur et de tous les organes mécaniques faisant manœuvrer l’hélice. C’est ainsi que je fus conduit à étudier l’électricité au moment où cette science se développait industriellement.

Albums photo de Krebs : le dirigeable LA FRANCE

La première ascension du ballon " La France ", qui eut lieu le 9 août 1884, et dans laquelle un aérostat décrivit pour la première fois par ses propres moyens une courbe fermée en revenant à son point de départ, fut le couronnement de nos travaux. On ne pouvait alors prétendre obtenir une durée de fonctionnement dépassant 2 h à cause du poids des moteurs. Ce ne fut donc qu’une expérience intéressante mais sans lendemain.

En effet, 15 ans devaient s’écouler avant que, grâce aux perfectionnements apportés par l’automobile aux moteurs à essence, on put doter un ballon semblable à " La France " d’un moteur assez léger pour lui permettre de tenir l’air pendant 10 heures.

KREBS dans les dictionnaires : la Grande Encyclopédie des Sciences ...


Le Service Incendie vers 1900

Le Service Incendie de la Ville de ParisHaut de page
L’expérience du dirigeable était révolue sans laisser l’espoir de pouvoir mieux faire à courte échéance. C’est alors que le général Zédé, frère de M. Zédé, directeur des Constructions Navales, dont j’avais fait la connaissance par mon beau-père, me proposa de quitter la Direction du Génie, où je n’avais aucun avenir à espérer, et de me nommer au Régiment des Sapeurs-Pompiers dont on voulait modifier et perfectionner les moyens d’action pour les mettre à la hauteur de ce qui existait à l’étranger.

KREBS : brevet de téléphone 1888

Il serait trop long de m’étendre sur les travaux réalisés pendant les 12 années (1885-1897) que j’ai passées dans ce corps. Après plusieurs voyages d’études aux États-Unis d’Amérique et en Europe, je fus conduit à faire des propositions : mais cette fois, la tâche n’était plus la même. Les propositions étaient discutées dans des commissions et, avant d’arriver à l’exécution, il fallait les faire triompher. Je réussit à les faire accepter et le résultat fut de transformer complètement l’organisation du Service Incendie ainsi que son matériel.

Albums photo de Krebs : le Gymnote

Le sous-marin GYMNOTEHaut de page
M. Gustave Zédé, ancien Directeur des Constructions Navales et Administrateur à la Société des Forges et Chantiers, avait entrepris, en 1885, l’étude d’un sous-marin pour le compte de la Marine militaire. Ce navire devait être propulsé par un moteur électrique alimenté par des accumulateurs, toute cette partie mécanique était à étudier et à exécuter. Il me fit part de son projet et me demanda de collaborer avec lui. La coque était construite par l’Arsenal de Toulon, et toute la partie mécanique et électrique devait être exécutée dans les Ateliers des Forges et Chantiers au Havre.

J’acceptai l’offre avec plaisir bien que les conditions de construction d’une machine électrique de 50 CV à 200 tours présentât de sérieuses difficultés. Il y avait, en réalité, à réaliser des dispositions tout à fait nouvelles pour arriver à disposer, dans un espace très restreint : machine, accumulateurs et appareils de manœuvres. Sur la demande du Ministre de la Marine, je fus autorisé par le Ministre de la Guerre à prêter mon concours à la Marine tout en conservant mes fonctions au Régiment des Sapeurs-Pompiers.

Une première expérience, consistant à propulser un canot de la Marine au moyen d’une dynamo et d’accumulateurs, dut d’abord être préparée pour convaincre le Ministre de la Marine de la possibilité du fonctionnement. Cette première expérience (1887) eut lieu au Havre et réussit pleinement. Les travaux pour le sous-marin purent alors être entrepris. Les années 87 et 88 furent employées à leur exécution. Le montage des machines, essayées préalablement au Havre où elles donnèrent entière satisfaction, eut lieu à Toulon sous la direction de M. Romazzotti, ingénieur de la Marine chargé de la construction du sous-marin " Le Gymnote ".

En décembre 1888, je fus envoyé à Toulon pour assister aux essais. L’année 1889, fut employée à doter le sous-marin de dispositions particulières pour améliorer la vision, et d‘un gyroscope électrique dont je fournit les plans, pour remplacer la boussole qui se trouve indifférente quand elle est à l’intérieur d’une coque en fer. En décembre 1889 j’assistai de nouveaux à différents essais, tout à fait concluants, à la suite desquels on mit en chantier un navire plus grand, étudié et construit directement par les Constructions Navales.

Les navires à propulsion mécanique - encyclopédie ATLAS 1999

C’est pendant cette période que j’étudiai un moteur électrique portatif pour actionner les perceuses employées sur les navires en construction à percer les trous dans les tôles qui doivent être ensuite réunies par des rivets. De même, des moteurs électriques actionnant les ventilateurs faisant circuler l’air dans toutes les parties des navires etc.

Photo d'Arthur Krebs en 1910

Les automobiles Panhard et LevassorHaut de page
Vers 1894 parurent les premières voitures automobiles mues par des moteurs à essence. La locomotion automobile ayant déjà frappé mon imagination au point de vue de son application au Service Incendie, je me procurai un petit moteur auprès de la maison Panhard & Levassor pour en bien étudier le fonctionnement et construisis dans l’atelier des Sapeurs-Pompiers une petite voiture d’expérience dont les changements de vitesse étaient obtenus par des embrayages magnétiques. J’avais imaginé cette disposition pour éviter les chocs brutaux que subissent les engrenages dans les changements de vitesse, solution qui me paraissait barbare.

Voiturette Krebs 1896

Au début de 1897, je montrai ma voiture terminée et fonctionnant à M. Levassor. Il en fut vivement frappé et me demanda de lui permettre d’en mettre plusieurs en construction dans ses ateliers et de bien vouloir en suivre la fabrication. Deux mois plus tard, M. Levassor mourait subitement. Son associé, M. Panhard, transforma son association en Société Anonyme et me demanda d’en prendre la direction. L’industrie automobile était à ses débuts, son avenir n’était pas douteux et la Maison Panhard & Levassor tenait la tête. Encouragé par la réussite de mes travaux antérieurs et mes goûts personnels, je n’hésitai pas à accepter et à abandonner la carrière militaire pour entrer dans l’industrie.

Albums photo de Krebs : voitures de course

Les débuts ne furent pas sans difficulté. Il fallut d’abord acquérir la sympathie d’un personnel technique très fermé et jaloux de son expérience. Quelques perfectionnements que j’introduisais de suite dans certains organes mécaniques et l’année suivante le succès des 4 voitures de la Maison dans la course " Paris-Amsterdam " (les voitures arrivant premières à toutes les étapes), me gagnèrent la confiance du personnel.

En 1898, je pris auprès de moi, pour me seconder, mon beau-frère M. Charles de Fréminville, ingénieur des Arts et Manufactures, qui s’occupa plus spécialement de la partie administrative des ateliers, de l’organisation du travail, du choix et traitement des métaux employés dans la fabrication, etc.

Pendant mes 18 années de Direction, je n’ai eu qu’à me louer du concours dévoué de tous mes collaborateurs, que j’ai toujours trouvés disposés à me seconder pour mener à bien les modifications ou dispositions nouvelles introduites dans les organes mécaniques des voitures.

Communication Acad. des sciences : le carburateur automatique 17 nov. 1902

Il est inutile de les rappeler ici en détail. Celles que je signale volontiers parce qu’elles m’ont procuré de grandes satisfactions personnelles sont :

    • l’équilibrage des moteurs ;
    • le carburateur automatique permettant de faire varier la vitesse du moteur et de lui donner une souplesse que le réglage par tout ou rien ne permettait pas ;
    • le frein dynamométrique pour l’essai des moteurs à grande vitesse de rotation, donnant la mesure du travail sur l’arbre suivant la formule de Prony, en récupérant sous forme électrique 90% environ de l’énergie produite, etc.
La Direction Panhard et Levassor en 1912

La retraiteHaut de page
En 1916, arrivé à l’âge où le besoin de repos commence à se faire sentir et où on ne peut plus développer la même activité physique, je résiliai mes fonctions de Directeur en conservant celles d’ingénieur conseil.

L’année précédente M. de Fréminville devait quitter la Maison Panhard & Levassor pour entrer au Creusot.

KREBS dans les dictionnaires : le Larousse